Algues et bactéries, nouvelles vigies de la pollution
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AbonnéDeux équipes ont mis au point des capteurs à base de micro-organismes pour déceler des traces de métaux lourds dans l’eau. Des prototypes qui confirment l’intérêt grandissant des biocapteurs pour détecter la pollution

Qu’ils soient présents naturellement ou liés à des pollutions, les métaux lourds sont particulièrement toxiques pour la santé animale et pour les humains. Pendant des décennies, la population de Minamata, une ville côtière au Japon, avait par exemple été victime des rejets en mer d’une usine, entre 1932 et 1968. Le mercure accumulé dans l’organisme de poissons a intoxiqué des milliers de personnes, dont plusieurs centaines en sont décédées.
En Asie toujours, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées à petit feu par l’arsenic présent dans l’eau de millions de puits creusés dans les années 1980 pour lutter contre la dysenterie et le choléra. Un toxique cette fois d’origine naturelle, puisque transféré de la roche à l’eau par un couple de bactéries profitant de l’oxygénation de leur environnement.
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Plus près de nous, un procès gigantesque avait contraint Pacific Gas & Electric, un producteur d’électricité californien, à verser plus de 300 millions de dollars aux centaines de personnes touchées par des rejets de chrome dans l’eau. Un procès spectaculaire mis en images par Steven Soderbergh dans Erin Brockovich, un film qui racontait, en 2000, le combat de la juriste éponyme pour faire plier l’industriel.
Dans tous les cas de figure, la prévention des effets des métaux lourds repose sur la capacité de mesurer leur concentration dans l’eau, ou dans la chair d’aliments consommés. Bien souvent, ces toxiques ne sont présents qu’à l’état de traces si infimes que les méthodes physico-chimiques les plus sophistiquées ne peuvent pas les repérer. «Or, on sait désormais que les métaux lourds ont des effets délétères quelle que soit leur concentration, explique Regina Ragan, responsable d’une équipe d’ingénierie et de science des matériaux à l’Université de Californie à Irvine. Il n’existe probablement pas de seuil en dessous duquel ces éléments chimiques sont inoffensifs pour les cellules.»
D’où l’idée de s’appuyer sur des micro-organismes, particulièrement sensibles au stress toxique, pour repérer les métaux lourds en évitant si possible de revenir au laboratoire comme c’est le cas aujourd’hui. Car l’instrument le plus performant, le spectromètre de masse, demande un investissement de plusieurs centaines de milliers de francs et nécessite une préparation soignée des échantillons prélevés.
Des capteurs vivants
Le groupe de Regina Ragan vient tout juste de présenter, dans la revue PNAS, un prototype de capteur détectant de l’arsenic ou du chrome dans l’eau. Il contient des bactéries Escherichia coli vivantes déposées sur des nanosphères en or. En présence d’arsenic ou de chrome, ces organismes réagissent au stress en émettant des signaux chimiques qui modifient certaines propriétés des particules d’or, dont l’altération est détectée par un système optique. Un algorithme d’intelligence artificielle – entraîné sur un métal donné – décode ensuite les données pour en déduire la concentration de cet élément.
«Ces capteurs sont conçus pour être utilisés sur le terrain, explique Regina Ragan, qui a coordonné ces recherches. Il faut environ une seconde pour faire une mesure, et la concentration s’obtient en moyennant 200 mesures.» Le résultat tombe donc en seulement quelques minutes. Revers de la médaille, comme les bactéries sont vivantes, il faut en prendre soin et notamment les nourrir!
«Nous envisageons d’utiliser des matrices de ces capteurs, dédiés à différents éléments chimiques, pour faire un suivi sur une large gamme de métaux lourds. On pourrait alors faire de la mesure en continu, pour détecter toute pollution avant même qu’elle commence à toucher la population.» Un objectif qui semble à la portée de l’équipe californienne: son étude montre, sur l’arsenic et le chrome, que le dispositif peut déjà détecter des concentrations 100 000 fois plus faibles que la limite recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), fixée à 10 microgrammes par litre pour l’eau potable pour l’arsenic et à 50 µg/l pour le chrome.
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Déchets de microalgues à la rescousse
Signe du dynamisme des recherches sur les biocapteurs, des travaux publiés en janvier dans Sensors font état d’un autre dispositif de mesure de traces de métaux lourds. Il a été testé en Guyane française, dont les cours d’eau sont pollués par le mercure utilisé par les orpailleurs illégaux qui opèrent dans la forêt amazonienne. Une pollution qui menace tout particulièrement les Amérindiens, très dépendants de la pêche pour leur alimentation.
«Nous avons utilisé une autre approche que celle de mes collègues américains, explique Wejdene Gongi, première auteure de l’étude, qui était basée alors au laboratoire Espace-Dev de l’Université de Guyane française et qui a rejoint, il y a peu, l’Institut de science des matériaux de Mulhouse. Nous utilisons les déchets produits par des microalgues cultivées de manière industrielle.»
Quand ces organismes sont stressés, par une température ou une salinité élevées, ils libèrent des substances naturelles appelées biopolymères dans leur environnement pour se protéger. «Nous récupérons ces «déchets» issus de cultures d’algues dans un laboratoire de recherche à Monastir (Tunisie) et les filtrons avant de les déposer sur la surface d’un capteur acoustique ou électrochimique.» Ces films polymères présentent une affinité particulière avec le mercure, un peu moins marquée avec le cadmium. «Quand ces ions métalliques sont captés, le signal émis par le capteur est modifié, ce qui nous permet de remonter à la concentration en métal dans l’eau.»
Cyanobactéries contre microplastiques
Les tests, réalisés en laboratoire, et pilotés par une équipe du Laboratoire de l'Intégration du Matériau au Système à Bordeaux, montrent que le mercure et le cadmium peuvent être détectés à de très faibles concentrations, jusqu’à 20 nanogrammes par litre pour le mercure (300 fois moins que la limite OMS) et 11 ng/l pour le cadmium (100 fois moins que la limite OMS). «Pour le mercure, nous avons effectué des comparaisons avec la méthode par spectrométrie de masse utilisée pour contrôler l’eau par les autorités sanitaires en Guyane, et notre capteur est d’ores et déjà dix fois plus sensible.» Sans compter, comme pour le capteur américain, que la mesure peut se faire in situ. «Nous obtenons une mesure en une minute environ, et des tests ont commencé sur le terrain», se réjouit Wejdene Gongi.
A terme, l’équipe espère mettre au point un capteur peu onéreux et très simple d’utilisation. «Son prix de revient est d’environ 80 euros. Des travaux sont en cours, qui permettront de le rendre aussi facile à utiliser par une personne qu’un test de glycémie ou d’insuline.» De quoi permettre aux Amérindiens de tester l’eau des milliers de «criques» qui irriguent la forêt guyanaise. En attendant, Wejdene Gongi a entrepris d'utiliser d’autres micro-organismes pour mesurer des polluants. Il s’agit cette fois de cyanobactéries qui pourraient doser les microplastiques, dont la pollution va grandissant dans les rivières et les océans du globe.
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