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Andrea Rinaldo, «Nobel de l’eau»: «J’ai reçu un mégaphone pour parler de l’accès à l’eau et du changement climatique»

Le directeur du Laboratoire d’écohydrologie de l’EPFL vient de recevoir le prestigieux Prix de l’eau de Stockholm, considéré comme le «Nobel de l’eau». Il a dédié sa carrière à l’étude des réseaux de rivières et à leur rôle dans la transmission de maladies

Andrea Rinaldo, hydrologue italien, professeur à l'EPFL et à l'Université de Padoue en Italie, a reçu le prestigieux Prix de l'eau de Stockholm 2023. — © Fred Merz | Lundi13
Andrea Rinaldo, hydrologue italien, professeur à l'EPFL et à l'Université de Padoue en Italie, a reçu le prestigieux Prix de l'eau de Stockholm 2023. — © Fred Merz | Lundi13

Né en 1954 à Venise, Andrea Rinaldo, aujourd’hui professeur à l’EPFL et à l’Université de Padoue en Italie, a depuis toujours entretenu un lien spécial avec le milieu aquatique. Au point de dédier sa carrière à la recherche scientifique dans le domaine de l’écohydrologie, une discipline qu’il a lui même participé à créer et développer. Il s’est intéressé en détail aux rivières, à leur réseau dynamique en interaction avec le sol et l’atmosphère, et aux micro-organismes qui y circulent, certains à l’origine de maladies transmissibles.

Ses travaux effectués en laboratoire mais aussi sur le terrain l’ont mené partout dans le monde, au Burkina Faso, en Haïti, au Sénégal et aussi en Amérique du Sud. Le spécialiste de l’EPFL vient de se voir décerner ce mardi le Prix de l’eau de Stockholm, considéré comme le Prix Nobel de l’eau, qui lui sera remis en main propre par le roi de Suède Charles XVI Gustave dans la capitale suédoise au mois d’août.

Le Temps: Comment avez-vous appris la nouvelle?

Andrea Rinaldo: C’était fantastique, j’étais dans le train venant de Domodossola, car je vis entre Padoue, où j’enseigne, et Lausanne. J’ai reçu un appel de l’Institut international de l’eau de Stockholm (SIWI), qui distribue ce prix chaque année, mais j’ai perdu la connexion à cause du passage dans des tunnels! J’ai appris ensuite que j’avais été choisi pour recevoir le Prix de l’eau; j’étais ravi et totalement surpris.

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Vous êtes né à Venise. Est-ce que cette ville a joué un rôle dans le choix de la thématique de votre recherche?

Oui, Venise est importante pour moi, j’y ai grandi. En 1966, j’avais 12 ans, il y a eu une tempête sur la mer Adriatique provoquant de fortes pluies qui, combinées à la marée haute, ont causé une grande inondation à Venise. J’ai commencé à m’inquiéter, en me demandant si le lieu qui m’avait vu naître allait survivre. Cet endroit est un exemple de la fragilité de notre environnement face au changement climatique.

Vous êtes directeur du Laboratoire d’écohydrologie à l’EPFL que vous avez créé en 2008. En quoi consiste cette discipline?

J’ai eu la chance de définir ma propre spécialité, l’écohydrologie. Avec mes collègues, nous étudions les communautés d’êtres vivants dont la survie est dépendante de l’eau, et leurs dynamiques de distribution. C’est un domaine de recherche relativement nouveau. Je suis reconnaissant envers l’EPFL qui m’a fourni les outils nécessaires pour réaliser mon travail, qui consiste à mener des expériences en laboratoire, mais aussi sur le terrain, en Amérique du Sud et en Afrique. Une partie de mes recherches est également théorique avec le développement de modèles mathématiques.

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Quel aspect de l’eau vous a particulièrement intéressé?

Les rivières, qui sont des entités spécialisées, variables, en lien avec la nature et ses mécanismes. Elles constituent un capital naturel important. Je m’intéresse surtout aux réseaux de rivières pour comprendre comment l’eau et les êtres qui s’y trouvent sont distribués dans ces «corridors» écologiques. Ces réseaux sont des substrats pour de nombreuses réactions chimiques et de processus comme la survie et la propagation de pathogènes, l’invasion de nouvelles espèces, les pollutions… L’hydrologie étudie les propriétés de ces substrats.

Avez-vous des exemples de pathogènes présents dans ces réseaux de rivières?

J’ai étudié le choléra qui est causé par un bacille appelé Vibrio cholerae. Pour le contracter, il faut boire des eaux infectées. Après le tremblement de terre de 2010 à Haïti, je me suis rendu sur place pour collecter des données de terrain. Là-bas, j’ai vu les ravages de la pauvreté. Il n’y a pas accès à de l’eau potable, pas de système d’égouts. L’eau de boisson provient de la pluie, mais l’eau des rivières est utilisée pour la cuisine. Ces dernières ont été contaminées par le bacille. Nous avons traqué le pathogène et modélisé sa distribution, ce qui a permis de proposer des mesures de gestion de l’épidémie de choléra. En appliquant les outils de l’écohydrologie, nous avons pu comprendre la dynamique de la maladie, et aussi où et quand déployer la vaccination.

Les pluies, les rivières, les océans sont directement impactés par la crise climatique. Etes-vous inquiet?

Oui, je suis inquiet. Pour chaque degré gagné dans l’air, l’eau aussi se réchauffe d’un degré et forme 6% de vapeur supplémentaire. Ce qui veut dire plus de pluies erratiques, plus d’événements extrêmes, et plus d’inégalités au niveau humain. Tout est de notre faute, c’est impardonnable. La température de l’eau influence les processus biologiques: il y aura des disparitions d’espèces dans les ruisseaux, des pathogènes qui vont bouger. Dans cent ans, le niveau de l’océan aura augmenté d’un mètre et je perdrai ma ville natale. Avec la remise de ce Prix, ils me donnent un mégaphone pour parler de l’accès à l’eau et du changement climatique. Je compte bien m’en servir.

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