Pour le citadin, les arbres sont de vrais refuges. Alignés au bord des rues ou foisonnants dans les parcs, squares et autres jardins, ils adoucissent le paysage urbain et l’égayent de chants d’oiseaux; ils captent aussi des polluants, notamment des particules fines et les oxydes d’azote du trafic automobile. Et, l’été, ils nous offrent une ombre précieuse, tout en climatisant l’air grâce à l’évapotranspiration qui survient à la surface de leurs feuilles.

Mais il y a un revers à ces paysages parfois bucoliques qui parsèment les vastes étendues artificialisées: les arbres émettent des composés chimiques volatils (COV) qui peuvent contribuer à dégrader la qualité de l’air, vient de confirmer une équipe de l’Université de Berlin dans une étude publiée dans la revue Environmental Science & Technology. Elle constate leur rôle amplificateur dans la pollution urbaine à l’ozone pendant les périodes de fortes chaleurs.

«Le feuillage est recouvert de pores par lesquels il capte le dioxyde de carbone dans l’air, explique Rob MacKenzie, professeur de sciences atmosphériques à l’Université de Birmingham (Grande-Bretagne). Mais ces pores rejettent aussi toute une panoplie de substances.» Parmi ces composés organiques volatils, le plus représenté est l’isoprène, un hydrocarbure très réactif qui transforme les oxydes d’azote présents dans l’atmosphère en ozone.

Surtout au printemps et au début de l’été

Or l’ozone est un des principaux polluants de l’air: son impact se fait sentir autant sur la santé humaine (en particulier sur la fonction respiratoire) que sur les végétaux, dont il altère la croissance. Cet étonnant accroissement de la pollution de l’air par les arbres est particulièrement marqué au printemps et au début de l’été, quand la croissance végétale est à son maximum. Plus le feuillage est dense, plus il rejette de composés volatils.

Un groupe dirigé par Galina Churkina à l’Université Humboldt de Berlin a mesuré la concentration en composés volatils dans l’air de différents quartiers de la capitale allemande en 2014. Ils ont observé jusqu’à dix fois plus d’isoprène dans les zones boisées que dans les espaces autoroutiers, et cinq fois plus que dans des quartiers urbains peu végétalisés. Des données confirmées par un modèle qui tient compte de la physiologie des plantes et des conditions météorologiques pour estimer les émissions de composés volatils.

Ce ne sont pas les arbres qui polluent, c’est le trafic automobile!

Rob MacKenzie, professeur de sciences atmosphériques à l’Université de Birmingham

Grâce à ce modèle, l’équipe allemande a pu produire des estimations pour l’épisode caniculaire qui a frappé l’Europe en 2006: à cette époque, lors de pics de chaleur, jusqu’à 60% de l’ozone relevé à Berlin aurait été produit par l’intermédiaire de l’isoprène végétal! En moyenne, cette contribution était de 10% sur le mois de juin, 18,5% en juillet — le mois le plus chaud dans la région — et 7,5% en août. «En hiver, la contribution de la végétation à cette pollution est négligeable, mais pendant la période de croissance des plantes, elle devient significative, indique Galina Churkina. Mais il ne faut pas en conclure pour autant qu’il faudrait réduire la végétation en ville! Elle rend de nombreux services, en particulier dans les pays du Sud où elle permet aux populations urbaines pauvres de se nourrir.»

Arbres plus ou moins émetteurs

«Ce sont pas les arbres qui polluent, c’est le trafic automobile!» renchérit Rob MacKenzie. Car sans les oxydes d’azote, émis notamment par les moteurs diesel, il n’y aurait pas ou peu d’ozone. «Par contre, la connaissance de ce mécanisme d’amplification de pollution peut guider, dans une certaine mesure, la planification urbaine», souligne le Britannique, qui a participé à l’élaboration d’un guide sur la gestion des arbres en ville, dont une édition francophone a été publiée l’an dernier à l’occasion du congrès de l’Association des maires de France. «Il faut considérer ce qu’on appelle la canopée urbaine, l’ensemble des constructions et des arbres.» Par exemple pour éviter que cette canopée — naturelle et artificielle — ne bloque la pollution au sol, mais en faisant plutôt en sorte qu’elle participe à sa dilution.

«Il faut aussi choisir ses arbres, rappelle Galina Churkina. Car toutes les espèces n’émettent pas la même quantité d’isoprène.» Son groupe avait publié, en 2014, une évaluation portant sur 24 essences. Parmi les plus émissives, on trouve le peuplier, le chêne pédonculé, le robinier faux-acacia et le platane, des espèces très prisées dans les cités européennes, notamment à Berlin et Paris mais aussi dans les villes suisses.

En revanche, l’if commun, le tamaris à petites fleurs ou le pin sylvestre ne rejettent pratiquement pas d’isoprène. Pour Rob MacKenzie, «il ne faut pas pour autant abattre les grands arbres sains pour les remplacer par d’autres espèces. Cette végétation mature modèle le paysage urbain et aide à rendre la ville plus vivable!»

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