Depuis 2015, plus de 350 tremblements de terre ont été recensés à Vaca Muerta. En 2019, en vingt-quatre heures, le record de 34 mouvements sismiques a été enregistré. Pour la communauté scientifique, il n’y a aucun doute: les tremblements de terre sont directement provoqués par l’usage de la technique très controversée de la fracturation hydraulique. Javier Grosso, géographe à l’Université de Comahue à Neuquén, a publié, avec d’autres collègues, une enquête irréfutable dans la revue Nature: «l’analyse sismique de sources multiples révèle qu’aucun séisme n’a été enregistré dans la zone d’étude avant 2015. Cette quiétude a brusquement changé avec l’intensification des activités de fracturation hydraulique dans la région».
Javier Grosso explique que «pour fracturer, dans chaque puits, il faut injecter 100 millions de litres d’eau et 15 000 tonnes de sables. Cette substance boueuse est injectée dans les profondeurs à très forte pression, entre 13 000 et 14 000 livres-forces. Une fois fracturée, la roche laisse s’échapper les gaz de schiste. Mais la pression accumulée dans les sous-sols a besoin de se libérer, et provoque les séismes.»
Des communautés autochtones impuissantes
À quelques kilomètres de Sauzal Bonito, on croise la communauté Wirkaleo du peuple originaire Mapuche. Cette ethnie a été massacrée durant la «Conquête du désert» à la fin du XIXe siècle. Quelques communautés ont survécu et luttent pour la reconnaissance de leurs droits, et surtout pour la récupération de leurs terres. C’est un enjeu politique et économique car les terres qu’ils réclament sont justement celles où les multinationales exploitent les gaz et pétrole de schiste.
La grande inquiétude de la communauté Wirkaleo, c’est la pollution et la raréfaction de l’eau. Seraphin, un soixantenaire qui vit de son potager, raconte que la communauté n’a pas «de canaux pour irriguer» et qu’elle utilise «l’eau des puits». De son point de vue, les entreprises leur «ont ruiné la vie en mettant à sec les puits, avec leurs grosses perforations. En plus, ils utilisent l’eau des fleuves et contaminent les nappes phréatiques».
L’impuissance face aux géants pétroliers et gaziers est un sentiment partagé par toute la communauté. Pour être entendu, ils coupent les routes et empêchent l’entrée des camions dans les gisements. Luis, le lonko de la communauté, l’autorité suprême, exige que «la fracturation hydraulique soit interdite en Argentine, comme c’est le cas dans beaucoup de pays d’Europe». Le Royaume-Uni, et plus récemment, les Pays-Bas ont interdit l’usage de cette technique sur leur territoire en raison des risques de séismes.
Un bond de 26% dans les investissements
Vaca Muerta est le deuxième gisement de gaz de schiste du monde et le gouvernement argentin compte bien l’exploiter pour redresser son économie qui frôle les 100% d’inflation. La Patagonie argentine attire les investisseurs étrangers, surtout depuis la guerre en Ukraine. Les prix du gaz conventionnel explosent et le gaz de schiste (non-conventionnel) devient de plus en plus rentable. D’autant que le gouvernement argentin encourage l’essor de cette filière. Selon Flavia Royon, la secrétaire à l’Energie de la Nation, le secteur promet d’être «un vecteur de développement pour le pays». Elle appuie l’objectif du ministre de l’Economie, Sergio Massa, de «soutenir les industries susceptibles de générer des devises étrangères dont le pays a tant besoin pour éviter les crises récurrentes».
En 2023, un bond de 26% est attendu dans les investissements à Vaca Muerta. Martin Alvarez, coordinateur de campagne pour l’ONG argentine Observatorio Petrolero Sur, observe aujourd’hui «des oléoducs et gazoducs qui fonctionnent 24h/24 pour exporter les hydrocarbures». Selon lui, «Vaca Muerta pourrait couvrir une partie des besoins de l’Europe. Son exploitation va se déployer de manière exponentielle, engendrant des dommages environnementaux irréversibles».
Il pointe du doigt «les pays européens comme la France ou les Pays-Bas qui ont interdit l’extraction des gaz de schiste par fracturation hydraulique sur leur territoire mais dont les entreprises exploitent ou financent Vaca Muerta». Shell, BP, Wintershall ou encore TotalEnergies ont des activités en Patagonie argentine depuis une décennie. Elles ont récemment été rejointes par de nouveaux acteurs, souvent des investisseurs étrangers, comme l’entreprise suisse Mercuria, principal actionnaire de Phoenix Global Resources, «une société pétrolière et gazière qui offre des investissements directs dans le gisement de Vaca Muerta en Argentine».
Les ONG comme l’Observatorio Petrolero Sur sont très critiques de ce bond d’investissements, au regard de l’urgence climatique. Selon eux, il faut investir massivement dans les énergies renouvelables et laisser les énergies fossiles dans les sols comme le recommande le GIEC, si nous souhaitons espérer maintenir une trajectoire climatique sous les 2 degrés.