ENVIRONNEMENT
Une invention aussi simple qu'ingénieuse, et peu onéreuse, développée à l'EPF de Zurich, permettrait de purifier l'eau de la plupart des polluants (surtout des métaux lourds) qu'elle peut contenir

En janvier, la ville de Flint (Etats-Unis) a été mise à genoux par une sévère pollution de son réseau d'eau par du plomb. Un épisode dramatique, qui a abouti à la contamination de 27000 enfants par ce métal très toxique. Fin 2015, toute une région du Brésil a vu ses cours d'eau souillés par un cocktail de métaux lourds qui ont fini leur course dans l'Atlantique, tuant des milliers de plantes et d'animaux et privant d'eau potable près de 250000 personnes.
Ces deux exemples récents viennent rappeler à quel point l'homme reste impuissant lorsqu'il faut purifier une eau contaminée par un polluant, des métaux lourds aux éléments radioactifs. Il existe certes plusieurs méthodes pour décontaminer les liquides. L'une des plus répandues, la précipitation chimique, consiste par exemple à faire retomber les particules de métaux, plus lourdes, dans le bas du réservoir afin de récupérer l'eau «clarifiée». Mais cette technique onéreuse a ses limites: elle est surtout appropriée pour de fortes concentrations en métaux et génère souvent boues et fumées toxiques. Une solution alternative serait donc bienvenue, et vite.
Celle-ci pourrait venir de l'EPF de Zurich. Sreenath Bolisetty et Raffaelle Mezzenga ont mis au point un dispositif de filtration de l'eau qui piège la quasi totalité des polluants avec une efficacité inégalée. Les deux physiciens ont décrit lundi dans la revue Nature Nanotechnology ce qui s'apparente à une membrane semi-perméable faite de charbon et de fibres d'amyloïde.
L'amyloïde est plus coutumière des revues de neurobiologie que de celles de physique des matériaux. «Il s'agit d'une protéine qui joue un rôle important dans certaines maladies neurodégénératives telles qu'Alzheimer et Parkinson», dit Raffaelle Mezzenga. Chez les malades, elle s'accumule sous forme de fibres et de plaques dans le cerveau. Leur effet précis est encore discuté, mais une chose est sûre: elles fixent les particules chargées (ions) métalliques avec une forte affinité. «Comment utiliser à notre avantage cette protéine associée à de graves maladies? C'était le point de départ de notre réflexion», se souvient le physicien.
Comme les carafes filtrantes
Le principe de son invention rappelle celui des carafes filtrantes. De l'eau chemine d'un réservoir «sale» à un réservoir «propre» à travers une membrane qui piège les métaux lourds sur les multiples sites de liaison présents le long des fibres d'amyloïde. L'efficacité est redoutable: les auteurs expliquent ainsi être parvenus en un seul passage à filtrer 99,5% du chlorure de mercure présent dans 50 millilitres d'eau. L'efficacité grimpe à 99,8% avec du dicyanoaurate de potassium, molécule très toxique produite lors de l'extraction de l'or. Avec de l'uranium radioactif, le résultat atteint 99,4%. «Nous avons été surpris par de si bons résultats. L'affinité entre l'amyloïde et les métaux lourds est vraiment exceptionnelle, c'est ce qui rend le procédé si efficace», dit Raffaelle Mezzenga.
Comparé aux méthodes de purification existantes, ce nouveau procédé offre moult avantages. La circulation de l'eau est assurée grâce à un vide créé par une pompe manuelle. «Il n'y a même pas besoin d'électricité», indique le physicien. Quelques minutes suffisent à filtrer un litre d'eau, voire moins si l'on augmente la pression. Le chercheur précise que cette membrane «fonctionne parfaitement avec différents métaux, à la différence des autres membranes qui ne filtrent qu'un type d'ions». Emmanuel Bonvin, directeur de Membratec à Sierre, entreprise active dans le traitement de l'eau, souligne l'intérêt de ces travaux: «La technologie décrite apparait comme particulièrement innovante dans le domaine de l’extraction de métaux lourds ou d’éléments radioactifs d’effluents aqueux dans le sens qu’elle n’est effectivement pas spécifique: elle présente des taux d’abattement importants pour nombre des polluants environnementaux.»
De plus, insiste Raffaelle Mezzenga, tous ces bénéfices n'exigent pas un coût démesuré: «Nous sommes plus efficaces et moins chers que la plupart des autres technologies». Comment? Grâce aux matières premières utilisées, charbon et amyloïde étant très bon marché.
Le charbon constitue la matrice de la membrane. Rien de surprenant, c'est cette matière que l'on retrouve dans de nombreux filtres, des capsules pour assainir l'eau aux hottes de cuisine. Quant aux fibres d'amyloïde, elles sont fabriquées à partir de bêta-lactoglobuline, une protéine du petit-lait abondante et peu onéreuse, prisée des amateurs de fitness désireux d'augmenter leur masse musculaire. «Nous avons calculé qu'avec seulement 1 kg de protéine disponible dans n'importe quel club de gym, nous pouvons purifier jusqu'à 90000 litres d'eau, soit plus qu'un être humain ne boit dans toute sa vie». Raffaelle Mezzenga estime que quelques dizaines de francs suffiraient à rendre potables des centaines de milliers de litres d'eau. Un coût imbattable, surtout comparé au prix de l'eau minérale... Enfin, autre argument en faveur du coût: la possibilité de filtrer et donc de recycler des métaux précieux tels que l'or, présents en infimes quantités dans tous les circuits électroniques.
Echelle industrielle
Les deux chercheurs espèrent que leur technologie trouvera preneur sur le marché. Raffaelle Mezzenga se dit confiant, sa membrane étant d'après lui parfaitement utilisable à échelle industrielle: «Plusieurs entreprises se sont montrées intéressées». «Le chemin vers une utilisation à grande échelle est encore très long et peut être semé d’embûches, commente Emmanuel Bonvin. Car la démonstration a été faite en laboratoire uniquement, sur des solutions calibrées et sur des volumes restreints, et non pas sur des 'soupes réelles' d’effluents industriels», comprenant, outre les éléments à filtrer, d'autres contaminants ou particules en suspension. «Des éléments qui viennent souvent vite colmater la membrane au point de diminuer son efficacité.»