Le Temps: Quel regard portez-vous sur la désignation de Sultan Ahmed al-Jaber à la présidence de la COP28?
Géraldine Pflieger: Je ne veux pas porter de jugement sur la personne en tant que telle, car je ne la connais pas. Mais cette nomination amplifie mes préoccupations par rapport à la place de plus en plus importante prise par les grands groupes pétroliers dans les négociations climatiques. Cette influence était perceptible depuis plusieurs années déjà, mais elle a clairement monté en puissance lors de la dernière COP27, où un nombre record de représentants des lobbies des énergies fossiles étaient présents.
Comment peut-on expliquer une situation aussi incongrue qu’une COP organisée dans une pétromonarchie et présidée par le PDG d’un groupe pétrolier?
L’organisation des COP tourne d’une région du monde à l’autre et cette année elle tombait dans le giron du Moyen-Orient. Il faut savoir que le choix du pays organisateur revient aux pays de cette région, en fonction de différents critères dont la capacité à organiser ce type de mega-événement. La sélection des Emirats arabes n’a donc pas été faite par l’ONU. De la même manière, la désignation de Sultan Ahmed al-Jaber est un choix souverain qui relève du pays organisateur de la conférence; ce n’est pas une décision internationale.
Quelle influence cette désignation peut-elle avoir sur les négociations?
La présidence joue un rôle capital dans les COP car les négociations y sont des processus complexes, au cours desquelles il n’y a pas de vote, mais une construction progressive d’un consensus entre les participants. C’est la présidence qui fixe le niveau d’ambition et qui intervient dans les grands arbitrages. Les avancées obtenues lors de précédentes COP à Paris ou à Glasgow ont été rendues possibles par des présidences très engagées. Au vu des conditions dans lesquelles est organisée cette COP28, la chance qu’on y parvienne à des avancées substantielles paraît faible, par exemple sur des thèmes comme le retrait des subventions aux énergies fossiles, qui est une mesure abondamment discutée.
Dans cette situation, doit-on boycotter la prochaine COP?
Non, je ne pense pas, bien au contraire. Il est capital que les ONG, les scientifiques et les représentants des pays les plus engagés soient présents afin de constituer un contre-pouvoir. Nous sommes à un moment clé dans la lutte contre le changement climatique et on ne peut pas laisser le champ libre aux représentants des énergies fossiles. Quant à un arrêt des négociations internationales sur le climat, ce serait la pire des options, car nous n’avons pas de meilleure alternative, en tout cas à l’échelle globale.
Faut-il revoir l’organisation des COP, particulièrement la sélection des pays organisateurs?
Pour moi, les négociations doivent rester universelles, sinon les décisions qui y seront prises n’auront pas la même portée. Mais il est clair qu’on est arrivé ici à une sorte de paroxysme dans la mainmise des lobbies pétroliers sur les négociations, et que cela doit nous amener à réfléchir à la manière d’encadrer ces conflits d’intérêts. Jamais nous n’avons laissé l’industrie du tabac prendre une telle place dans les discussions menées à l’Organisation mondiale de la santé. Paradoxalement, l’attention croissante portée par le secteur des énergies fossiles à ces négociations est aussi le signe que les responsabilités dans le changement climatique et les mesures à prendre sont désormais clairement identifiées.