«Le changement climatique va avoir un fort impact sur la disponibilité de l’eau en Suisse»
Climat
AbonnéPlus d’eau en hiver et moins en été, des sécheresses imprévisibles et des «crues éclair» plus fréquentes… L’hydrologue Manuela Brunner détaille les conséquences du réchauffement sur nos ressources en eau

Alors que la canicule et la sécheresse s’installent en Suisse, les lacs et les cours d’eau accusent le coup. Leur niveau est particulièrement bas dans le Jura, sur le Plateau et dans le sud du Tessin, d’après le dernier bulletin hydrologique de l’Office fédéral de l’environnement. Des interdictions de pompage ont été édictées dans certaines régions, notamment dans le bassin-versant de la Broye, et certaines communes enjoignent à leurs habitants de renoncer à l’arrosage de leur pelouse ou au nettoyage de leur voiture. Une telle pénurie peut surprendre dans un pays comme la Suisse, renommé pour ses ressources en eau. Mais il va falloir s’y habituer, comme l’explique l’hydrologue Manuela Brunner, qui vient d’être nommée professeure à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.
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Le Temps: Le réchauffement menace-t-il nos ressources en eau?
Manuela Brunner: Le changement climatique va avoir un fort impact sur la disponibilité de l’eau en Suisse. La quantité d’eau annuelle restera globalement la même, mais elle sera plus variable et moins bien répartie selon les saisons, avec des hivers plus humides et des étés plus secs. On s’attend par ailleurs à ce que les événements extrêmes tels que les sécheresses et certains types de crues deviennent plus fréquents.
Les sécheresses estivales vont-elles devenir la norme?
Oui. Le niveau de l’eau dépend de plusieurs facteurs, dont les précipitations et la fonte des neiges. Les précipitations vont devenir plus rares en été. Quant à la fonte de la neige, elle se produira plus tôt dans l’année, si bien qu’il y aura davantage de crues au printemps, mais moins d’eau disponible en été. La transpiration des plantes va augmenter en raison de l’accroissement des températures, ce qui veut dire que les sols seront aussi plus secs.
Pourra-t-on anticiper les épisodes de sécheresse?
Ils seront plus difficiles à prévoir que dans le passé. Jusqu’à aujourd’hui, il y avait surtout une abondance d’eau au printemps et en début d’été, lors de la fonte des neiges. On pouvait anticiper la quantité d’eau disponible à la belle saison, en fonction de la neige tombée lors de l’hiver précédent. Mais désormais il y a moins de chutes de neige durant l’hiver et le manteau neigeux fond plus tôt dans la saison. Si bien que le débit estival ne dépend plus que des précipitations, beaucoup plus imprévisibles. Si on n’a pas de pluie, comme en ce moment, on se retrouve en situation de sécheresse, en tout cas dans les bassins-versants du Plateau, où le débit est surtout généré par les précipitations.
La fonte des glaciers causée par le réchauffement n’accroît-elle pas la quantité d’eau disponible?
En effet, actuellement on a beaucoup de débit dans les rivières de montagne en raison de la fonte des glaciers. Mais cette contribution va diminuer avec le temps, car les glaciers vont progressivement perdre de la masse, jusqu’à disparaître totalement à la fin du siècle. A long terme, on ne peut donc pas compter sur cette source d’approvisionnement.
Quelles sont les principales conséquences des sécheresses?
L’agriculture, qui a besoin de grandes quantités d’eau en période estivale, sera un des secteurs les plus durement touchés. La baisse du niveau des cours d’eau a aussi des conséquences pour les écosystèmes aquatiques et pour la pêche. Car quand il y a moins d’eau dans une rivière, elle devient plus chaude, ce que certains poissons ne supportent pas. Les forêts souffrent aussi du manque d’eau, et la navigation peut être difficile voire impossible sur certains lacs et fleuves. Mais la menace le plus sérieuse concerne l’approvisionnement en eau potable des régions dépourvues de réserves souterraines. En Suisse, 20% de l’approvisionnement en eau est issu des eaux de surface, et donc très dépendant de ces variations du débit d’eau. Les nappes phréatiques sont plus résilientes face aux changements du climat. Les importantes pluies hivernales attendues à l’avenir devraient permettre leur recharge.
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A côté de la sécheresse, on s’attend à une multiplication des «crues éclair» durant l’été.
Oui. Quand l’atmosphère est chaude, elle retient davantage l’eau. C’est pourquoi les orages estivaux produisent des précipitations de forte intensité. Quand la pluie tombe sur un temps très court, le sol ne peut pas l’absorber assez vite, et cela donne lieu à de spectaculaires inondations, comme on a pu en voir par exemple à la gare de Lausanne en juillet 2018. Ces «flash floods» ont déjà augmenté en fréquence et en magnitude. Concernant les crues des rivières, la situation est moins claire. Il n’y a pas que les précipitations qui entrent en ligne de compte, mais aussi le moment de la fonte des neiges et le degré d’humidité du sol. Il est possible qu’on ait moins de petites crues à l’avenir, mais que les crues de très grande ampleur soient plus fréquentes.
Que faire pour s’adapter à ces changements?
Il y a quelques années, on parlait surtout de lutter contre le changement climatique. On se rend compte aujourd’hui qu’il faut aussi chercher à s’y adapter, car certaines transformations sont désormais inéluctables. Dans de nombreux domaines, de l’agriculture à l’industrie, la consommation d’eau peut être optimisée. Au niveau individuel aussi, on peut s’efforcer d’utiliser moins d’eau, en particulier quand on réside dans une commune où l’eau potable sert à tous les usages, ce qui est le plus fréquent en Suisse.