La permaculture, concept inventé par les Australiens David Holmgren et Bill Mollison dans les années 1970, vise à concevoir des paysages qui miment les modèles et les relations observées dans la nature, de façon à obtenir une production abondante de nourriture, de fibres textiles et d’énergie pour satisfaire les besoins locaux. Ses trois grands principes éthiques (prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain et partager équitablement en limitant la consommation et en redistribuant les surplus) sont ceux des cultures traditionnelles et des peuples premiers. Le nouvel ouvrage de David Holmgren, RetroSuburbia, se veut à la fois un guide pratique et un manifeste pour aider les populations des périphéries des villes à s’organiser face aux risques de fragilisation de nos sociétés industrielles.

Le Temps: Quel est l’objectif de votre nouvel ouvrage?

David Holmgren: Nous allons, dans les prochaines années, devoir faire face à trois principaux défis: l’effondrement des bulles financières et immobilières, l’envolée des prix des énergies et des ressources alimentaires du fait de leur raréfaction et la multiplication des catastrophes naturelles en raison de l’aggravation du changement climatique. Ces défis vont ébranler les capacités des gouvernements et des entreprises à répondre aux besoins essentiels des populations. Il va falloir apprendre à ne plus dépendre d’eux et à devenir autonomes et autosuffisants. Cet ouvrage propose des solutions à ces défis et vise à aider les personnes à réaménager leur cadre de vie, leur logement, leur environnement naturel et leur mode de vie pour s’adapter à ces situations nouvelles.

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En quoi la permaculture peut-elle accompagner ces changements?

La permaculture a commencé par se concentrer sur l’entretien de la terre et de la nature avant d’étendre son champ d’action aux ressources physiques et énergétiques et aux organisations humaines. Elle est basée sur l’hypothèse d’une réduction progressive de notre consommation de ressources et d’énergie du fait de l’épuisement des carburants fossiles. «Pétrole: la fête est finie», écrivait, en 2003, le politologue Richard Heinberg en évoquant le pic des énergies fossiles et la descente énergétique qui s’ensuivra. Cette dernière peut être décrite comme une redescente en douceur sur la terre, notre maison, après un vol exaltant en ballon.

Quelles solutions préconisez-vous?

Nous avons conçu des modèles qui peuvent être construits de manière autonome sans l’aval des autorités et qui s’appuient sur des basses technologies, plus basiques et peut-être moins performantes, mais nettement plus économes en ressources et maîtrisables localement. En ville, on observe, par exemple, que les voitures finissent par entraver la mobilité et détruire le bien être des habitants alors que les vélos, beaucoup plus petits, plus lents et plus sobres, permettent une plus grande liberté de mouvement sans pollution ni bruit. Pour préparer les sols avant de planter, les systèmes permaculturels se servent de cochons ou de poules plutôt que de recourir aux tracteurs et autres motoculteurs. Ils privilégient les variétés végétales et les races animales rustiques, semi-sauvages, et capables de se reproduire seuls, plutôt que des variétés sursélectionnées et fragiles. De même, je pense que pour soigner une grande partie de nos maux, il est préférable de recourir aux plantes médicinales, cultivées et transformées localement, plutôt qu’à l’industrie pharmaceutique centralisée.

Pourquoi avez-vous décidé de vous focaliser sur la transition dans les banlieues?

En Australie, la majorité de la population vit dans des banlieues. Les banlieues sont des zones où l’on trouve suffisamment d’espace pour recréer une économie domestique dynamique et productive. A ses débuts, Bill Mollisson insistait sur la nécessité de commencer à agir sur le pas de sa porte, devant chez soi. Ce livre, qui est à la fois un manifeste et un manuel pratique, montre qu’il est possible de transformer les banlieues pour bien vivre dans les temps incertains qui s’annoncent. Les multiples cas et solutions pratiques (récupération et utilisation d’eau de pluie, construction de poêles de masse, etc.) que nous mettons en avant sont situés dans des banlieues australiennes. Mais les stratégies que nous préconisons, et particulièrement celles qui ont trait aux changements de comportements humains, peuvent parfaitement être adaptées à d’autres régions du monde, et aux pays européens notamment.

Vous évoquez au début de votre livre l’exemple d’une communauté urbaine à Fremantle. Qu’est ce que cette initiative a de singulier?

Fremantle est une ville de 25 000 habitants située sur la côte ouest de l’Australie dans laquelle les gens d’un quartier, l’Hulbert street community, ont complètement réinventé et réaménagé leur cadre de vie et restauré de nombreuses maisons et immeubles. Les habitants de ce quartier se sont mis à jardiner, à utiliser le domaine public pour planter des arbres et cultiver des légumes. Au fil du temps, de plus en plus de personnes se sont engagées et auto-organisées tout en impliquant les autorités locales. Les liens sociaux que nous tissons au sein d’une communauté, et la résilience sociale qui en découle, sont essentiels. Ils sont presque aussi importants que les solutions techniques comme l’installation de panneaux solaires.

Qu’est ce que la grande requalification que vous évoquez?

Du fait de la spécialisation et de la complexité à l’œuvre dans nos sociétés modernes, nous avons complètement oublié certaines compétences qui étaient considérées comme allant de soi il y a soixante ans. Nous ne savons plus comment faire pousser des légumes ou réaliser de menues réparations dans notre maison ou notre jardin. Il va nous falloir réapprendre ces savoir-faire oubliés. Pour nombre de ménages, ce sera un impératif car recourir aux services d’un professionnel ne sera plus forcément possible dans des conditions économiques difficiles. Le premier pas à faire est de commencer par cultiver soi-même ses légumes et ses plantes médicinales. Entretenir un jardin potager permet en outre aux enfants d’observer les graines germer, de voir les jeunes pousses grandir, les légumes et les fruits grossir et s’épanouir. C’est pour eux un véritable cours vivant et grandeur nature de biologie. L’homme n’est pas juste un consommateur. C’est aussi un être capable de créer, de fabriquer, d’inventer.

Pourquoi est-ce essentiel, à vos yeux, de recréer les communs?

Dans les sociétés qui ont précédé l’ère industrielle, une proportion significative des terres et des ressources était contrôlée et gérée par le système des communs. Ceux-ci ont été, pour la plupart, détruits lors de la Révolution industrielle. Un certain nombre de ressources seraient aujourd’hui mieux gérées sous la forme de communs. Il faudra, pour cela, développer des structures de gouvernance locale qui ont existé dans le passé. Ce processus se fera naturellement. On voit déjà, par exemple, des collectivités qui choisissent de laisser paître des chèvres sur des parties communes plutôt que d’utiliser des herbicides et des tondeuses pour contrôler la végétation. La coupe du bois dans certaines forêts et la collecte des champignons sont deux activités dans lesquelles les principes des communs sont demeurés en vigueur. Subvenir à nos besoins, sans dépasser les limites écologiques, va exiger une véritable révolution culturelle, plus importante encore que toutes celles qui ont agité le XXe siècle.

«RetroSuburbia» The downshifter’s guide to a resilient future. David Holmgren, 2018, Melliodora Publishing www.retrosuburbia.com


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