A la découverte des origines africaines des Alpes
Géologie
Dans son nouvel ouvrage, le géologue Michel Marthaler emmène le lecteur en balade. En vulgarisant la géologie, il lui fait découvrir les secrets des pierres de la région du vallon de Moiry, en Valais

«On aperçoit l’Afrique là-bas», lance le géologue Michel Marthaler en pointant du doigt le bout du lac de Moiry (VS), dont le niveau est encore bien bas en cette fin juin. Le profane, n’apercevant que les montagnes culminant à plus de 4000 mètres, le prendra pour un fou, l’initié comprendra instantanément qu’il évoque les roches qui constituent les Alpes.
«L’histoire de la Terre est inscrite dans les paysages», explique le professeur honoraire de l’Université de Lausanne. Lorsqu’on arrive au fond du vallon de Moiry, l’histoire qui saute aux yeux est celle de l’épopée des barrages valaisans du milieu des années 1950. Un imposant mur de béton vous fait face, retenant des dizaines de millions de mètres cubes d’eau, qui seront turbinés. La scène vous envoûte, au point presque d’en oublier tout le reste.
Ce sont les cailloux qui font les montagnes et non pas les montagnes qui font des cailloux
Pour détourner les projecteurs du barrage et les poser sur une histoire bien plus ancienne, qui remonte à des centaines de millions d’années, Michel Marthaler propose, dans son nouvel ouvrage Moiry: de l’Europe à l’Afrique (Ed. Loisirs et pédagogie), une balade géologique. «En vulgarisant la géologie, l’auteur du best-seller Le Cervin est-il africain? traduit de nouveau le langage muet des cailloux et donne des clés d’éveil pour déchiffrer le secret des roches sous nos pieds», est-il écrit sur la quatrième de couverture.
Une balade en 15 étapes
Le livre peut se dévorer sur son canapé, mais il a été spécialement conçu pour accompagner le randonneur dans son périple entre le barrage et la cabane de Moiry, située à 2885 mètres d’altitude. Quinze étapes composent l’itinéraire balisé, qui permet de voyager dans le temps et dans l’espace, pour comprendre notamment la création des sommets qui nous dominent.
Etant donné «qu’une chaîne de montagnes n’est pas éternelle, car elle apparaît et disparaît», l’intérêt de la balade se porte sur les roches, voire sur les petits cailloux disséminés le long du chemin. «Ce sont les cailloux qui font les montagnes et non pas les montagnes qui font des cailloux», rappelle Michel Marthaler. L’histoire qui nous est contée débute donc lors de la fabrication de ces roches, dans de tout autres environnements, il y a plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’années.
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Tout au long de la balade, le promeneur fera des bonds dans le temps, mais jamais de façon linéaire. «Il y a de nombreuses époques qui se mélangent. Sur un simple caillou, il peut y avoir plusieurs âges. C’est un peu comme si, en architecture, nous avions la tour Eiffel posée sur une basilique gothique et surplombée par des ruines romaines», image Michel Marthaler.
Des mondes qui n’existent plus
Ses explications nous emmènent dans des mondes qui n’existent plus. En s’arrêtant devant un affleurement rocheux, nous faisons un saut de 500 millions d’années dans le passé pour plonger dans «le monde du gneiss», un monde dont les contours sont encore mal connus et où la vie n’existait que dans les mers et les océans. Quelques centaines de mètres plus loin, Michel Marthaler fait une halte à la hauteur d’une bande de roche jaunâtre qui surplombe le chemin: de la cornieule. En l’espace de quelques minutes, nous avons fait un voyage dans le temps de quelque 300 millions d’années, pour nous trouver à la limite entre un ancien continent et un ancien océan. Deux des trois éléments qui permettent à une chaîne de montagnes de se former. Il ne manque qu’un second continent et le tour est joué.
En quelques heures de marche, on passe de l’Europe à l’Afrique, en traversant un océan
A Moiry, il est possible de retrouver tous ces éléments, même si l’œil de l’expert est nécessaire pour nous les faire remarquer. «C’est un haut lieu de la géologie», souligne Michel Marthaler, qui n’a pas hésité à y envoyer le Conseil fédéral, présidé alors par Pascal Couchepin, et désireux de découvrir les spécificités des montagnes helvétiques. «On y retrouve les plaques tectoniques européennes et africaines ainsi que la Thétys, le paléo-océan qui les séparait. En quelques heures de marche, on passe donc de l’Europe à l’Afrique, en traversant un océan», rigole le géologue.
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Cette particularité n’est pas spécifique au vallon de Moiry, on la retrouve dans la quasi-totalité des fonds de vallée de la rive gauche du Rhône. De quoi donner des idées à Michel Marthaler, qui planche déjà sur des ouvrages similaires pour d’autres régions du Valais, et promet que son prochain livre sera consacré à la région de Zermatt.