Face au réchauffement, la forêt suisse doit de diversifier
Environnement
Les forêts suisses devront s’adapter aux changements climatiques: il faut diversifier les essences et introduire des espèces non indigènes avec parcimonie

L’épicéa peuple à ce jour la quasi totalité des forêts de Suisse, sa répartition verticale pouvant aller de 250 à plus de 2000 mètres d’altitude. Mais le réchauffement climatique pourrait bien changer la donne. Particulièrement exposé lors de périodes de sécheresse prolongées aux attaques de scolytes, un insecte particulièrement friand de bois, ce conifère se fera toujours plus rare à basse altitude. Des espèces plus résistantes pourraient dès lors prendre sa place: le chêne sessile, le cerisier ou encore le sapin de Douglas, une essence originaire d’Amérique du Nord.
L’adaptation des forêts au réchauffement climatique représente l’enjeu principal du programme de recherche «Forêts et changements climatiques» lancé en 2009 par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) et l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL). Car avec la hausse constante des températures moyennes, les forêts pourraient bien ne plus être en mesure de fournir leurs prestations habituelles: protection contre les dangers naturels du type avalanches, chutes de pierres ou glissements de terrains, production de bois, espaces de détente.
Afin d’y remédier, l’OFEV et le WSL ont développé une stratégie de gestion à l’attention des milieux professionnels du bois. Celle-ci, présentée lundi à la presse, passera par un renforcement de la diversité des espèces indigènes. «Nous ne sommes pas des adeptes de la monoculture. L’idée n’est pas de nous retrouver avec des forêts entières de chênes ou de hêtres simplement parce que ceux-ci résistent mieux au réchauffement climatique, explique Marc Chardonnens, directeur de l’OFEV. Les arbres réagissent tous différemment à ces changements: certains résistent mieux à la sécheresse, d’autres sont plus armés face aux parasites. Cette pluralité des essences apparaît donc comme un facteur primordial dans cette adaptation.»
Des espèces d’au-delà les frontières
Autre piste possible dans l’adaptation, une implantation accrue d’essences non indigènes a elle aussi été évoquée. On compte aujourd’hui une vingtaine de ces espèces dites «exotiques» en Suisse, ce qui représente moins d’un pour-cent de la population forestière du pays. Parmi celles-ci, le sapin de Douglas habite les forêts suisses depuis plus de cent ans. «Nous restons toujours très prudents en ce qui concerne les espèces exotiques. Le Douglas a de bonnes propriétés de résistance à la sécheresse. Comme le bois de ce résineux se prête également bien à la construction, son utilisation du point de vue sylvicole peut s’avérer intéressante, confie Marc Chardonnens. Des tests forestiers devront en revanche déterminer la manière dont le sapin de Douglas se comporte avec ses congénères. Est-il envahissant? Résiste-t-il mieux aux maladies que ses voisins indigènes? Peut-il transmettre des maladies? Toutes ces questions méritent un éclaircissement.»
Originaire d’Amérique du Nord au même titre que le sapin de Douglas, le robinier compte lui aussi parmi les espèces exotiques les plus notables de Suisse. Un arbre tolérant à la hausse des températures, mais que les spécialistes qualifient d’«envahissant», de par sa capacité à se régénérer très rapidement. De quoi y voir un avantage? «Certainement pas, explique le responsable du programme de recherche, Peter Lang. Si son implantation devait s’étendre, le robinier pourrait radicalement supplanter les espèces indigènes. C’est contraire à ce que nous prônons du point de vue de la biodiversité.»
Porte-parole de l’organisation Pro Natura, Nicolas Wüthrich confirme les craintes qui entourent l’implantation dirigée d’espèces non indigènes: «La régénération de nos sols par ce genre de processus artificiels peut effectivement s’accompagner d’éléments qui nous surpassent. La pression grandissante de l’industrie sylvicole ne doit pas nous pousser à jouer les apprentis sorciers. Nous devons faire confiance à la capacité de régénération naturelle de nos forêts et favoriser les espèces indigènes qui sont les plus adaptées aux sites en question. Si l’épicéa est amené à disparaître en basse altitude, il faudra faire avec les arbres qui poussent à sa place.»
Cartographie des forêts suisses
L’une des priorités du programme de recherche de l’OSEF et du WSL était d’obtenir des résultats transposables dans la pratique. En plus d’avoir identifié la diversification des essences comme facteur clé dans l’adaptation aux changements climatiques, ces sept années de travaux auront permis la réalisation d’une cartographie complète des stations forestières du pays. «Ces cartes donnent des indications très précises sur la profondeur et l’humidité des sols, mais aussi sur l’exposition de chaque site aux éléments de la nature. En tenant compte de tous ces paramètres, ces instruments devront permettre aux forestiers d’identifier les essences les plus à mêmes de survivre dans une zone donnée», explique Marc Chardonnens.
Les résultats du programme de recherche s’inscriront également dans l’application de l’article 28a «Mesures à prendre face aux changements climatiques», approuvé par le Parlement fédéral dans le cadre de la révision de la loi sur les forêts en avril 2016.