En Suisse, la nature se porte mal. Un tiers des espèces animales et végétales sont menacées et de nombreux habitats précieux disparaissent. Pourtant, il n’est pas impossible de faire cohabiter le sauvage et les activités humaines. Coup de projecteur sur quelques initiatives locales qui ramènent de la biodiversité jusqu’au pas de notre porte.

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Sur le toit, une légère brise agite la végétation, un mélange de plantes rases et de tiges plus longues. Certaines déjà chargées de graines. Quelques mètres plus bas, plus loin sur la dalle de béton, des enfants tentent de se rafraîchir dans une petite fontaine sous la chaleur de cette première semaine d’août. Sous la place, les trains s’engouffrent, pour s’éloigner de la gare de Cornavin ou la rejoindre.

C’est ici, au cœur de la ville de Genève, que la coopérative Les Voies couvertes (Renouveau de Saint-Jean) mène une expérience de végétalisation des toits de ces ateliers installés sur la voie qui recouvre les rails des CFF. Né en 2015, le projet vise à tapisser de végétation une surface de 2000 m2 pour réduire la chaleur émise par les bâtiments et la dalle.

Faire diminuer la chaleur

Malgré la pluie de la veille, sur les toits, les tiges sont plus brunes que vertes. «Le contraste entre le moment de la floraison, il y a quelques semaines, et aujourd’hui est vraiment marquant», note Claude Cortinovis, président de la coopérative.

Reste que ces végétaux ont déjà commencé à jouer leur rôle. «A l’origine, les toitures étaient recouvertes de verre pilé, ce qui entraînait une surchauffe estivale pour les coopérateurs», indique Laurent de Wurstemberger, architecte du projet avec Massimo de Giorgi. Ce revêtement a donc été remplacé par des substrats minéraux et végétaux pour permettre d’y semer des prairies de fleurs locales.

Pour le moment, seuls cinq des dix toits concernés ont été «plantés», mais les effets se font déjà ressentir. «Quand il faisait 35 degrés dehors, la température était la même à l’intérieur et surtout, elle ne baissait pas, détaille Robin Jousson, vice-président de la coopérative. Avec l’installation des substrats et l’abaissement automatique des stores, il y a un amortissement des pics de chaleur, les mesures ont montré qu’il faisait 3 à 4 degrés de moins dans les ateliers.» Ces toitures jouent aussi un rôle dans la rétention d’eau, évaporée progressivement par les plantes et les substrats, réduisant le ruissellement lors de fortes précipitations.

Une prairie autonome

Autre objectif du projet: introduire de la biodiversité dans un environnement urbain. «Nous avons épandu de la fleur de foin issue de prairies fleuries sources de la région de Genève», souligne Aino Adriaens, biologiste consultante qui a participé à la genèse du projet avec Sylvie Viollier, biologiste elle aussi, et Canopée paysagisme. «Il ne s’agit pas de prés d’herbes, mais de prés peu engraissés présentant une grande diversité d’espèces.» La fleur de foin fraîchement coupée en juin, encore pleine de graines, a ensuite été simplement déposée pour permettre l’ensemencement.

En observant attentivement les toits, l’irrégularité du sol saute aux yeux. A certains endroits, le substrat forme des petits monticules. Des pierres et du bois mort ont également été déposés et une petite mare se niche même entre les herbes folles. Ces éléments créent des espaces permettant l’installation de plantes plus fragiles. «L’idée est de recréer un paysage naturel avec des creux et des bosses, alors que, dans des projets de végétalisation classiques, on se contente d’installer une couche de substrat uniforme et d’y semer des orpins [plantes grasses]», précise Aino Adriaens.

La répartition des espèces se fait donc naturellement. «Nous avons pris le parti de ne pas arroser, pour un développement autonome», pointe Robin Jousson. Un contrôle annuel est tout de même effectué pour prévenir l’installation d’espèces invasives.

Rien d’anormal donc à ce que la végétation ne soit pas encore luxuriante. D’autant que la fleur de foin sélectionnée développe un réseau racinaire plus profond que les plantes utilisées habituellement, son installation prend donc plusieurs années. «Avoir des zones nues n’est pas un problème, renchérit Aino Adriaens, des habitats diversifiés signifient aussi une plus grande diversité d’insectes.» Trente-six espèces de plantes ont déjà été recensées. A terme, l’équipe espère que des espèces rares s’installeront d’elles-mêmes, comme la herniaire velue, une petite plante thermophile qui pousse naturellement sur le sable, le gravier et les alluvions, qui est apparue spontanément sur les toitures.

Vers la deuxième phase du projet

L’ensemble du projet est pensé comme un terrain d’expérimentation. Les premiers toits végétalisés ont servi à tester différents types de substrats produits localement, pour déterminer la solution la plus adaptée. Sur trois d’entre eux, un hachis végétal de roseau de Chine a été répandu tandis que sur les deux autres, c’est un substrat minéral qui a été retenu. Depuis cette année, un groupe de la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture (Hepia), en collaboration avec Sylvie Viollier, réalise aussi un suivi de la flore, des mousses et des insectes, pour les comparer avec d’autres sites végétalisés du canton.

Ces tests ont permis à la coopérative de déterminer la meilleure solution pour les toits restants. Cette deuxième phase – financée avec le soutien de l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature de la République et canton de Genève, du Service Agenda 21 de la ville de Genève et de la Banque cantonale de Genève – devait démarrer au début de 2020. La crise du coronavirus en a décidé autrement, reportant le projet à 2021. «Finalement, ce report nous a permis d’avoir encore plus de recul scientifique sur le projet», relativise Claude Cortinovis. L’année prochaine, les prairies auront donc encore gagné un peu de terrain à Genève.