Environnement
Jugées plus sûres et écologiques, laitues et batavias cultivées à la verticale dans des usines à végétaux font des émules dans l'Empire du Soleil-Levant. Reportage

Si, de l’extérieur, l’usine du groupe Spread de Kameoka, près de Kyoto, ressemble à un banal hangar industriel, dans les murs, sa chaîne de production détonne. Empilées sur des étagères – 2,5 hectares au total –, 900 000 salades y mûrissent à la verticale, totalement coupées du monde extérieur, quarante-trois jours durant.
Laitues, romaines et autres batavias sont ici cultivées hors-sol, les semences d’abord plantées dans un substrat spongieux et irriguées par une solution nutritive, puis exposées à la lumière de milliers d’ampoules LED reproduisant artificiellement le cycle du soleil. Le tout dans des salles aseptisées, où la température, maintenue à 23 °C, le taux de CO2 ou encore celui d’humidité sont régulés au fur et à mesure de la croissance des plantes.
Rendement 100 fois supérieur
Sas de sécurité, passage à la douche à air et au pédiluve, combinaison blanche, charlotte et gants de rigueur: les employés sont soumis à un strict protocole afin de prévenir le développement de la moindre bactérie. «Un contrôle total qui nous permet de récolter chaque jour 21 000 salades de même goût et de même calibrage, quelles que soient la saison ou la météo. Soit un rendement cent fois supérieur à celui des méthodes traditionnelles, avec seulement 2% de pertes, et ce, sans avoir recours aux pesticides», vante Naohiro Oiwa, directeur de la plus productive des usines à végétaux du Japon.
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A travers l’Archipel, la formule a fait des émules, 191 équipements similaires ayant été recensés l’an dernier contre 64 en 2011. Un essor encouragé par les aides financières de l’Etat, qui y perçoit une lueur d’espoir pour un secteur agricole en crise, frappé notamment par le vieillissement des paysans – 67 ans de moyenne d’âge. «Ces fermes répondent au manque de main-d’œuvre grâce à leur productivité et en suscitant l’intérêt des jeunes générations – plus technophiles – à l’agriculture», veut croire Toyoki Kozai, président de l’association japonaise des usines à végétaux.
«Ces cultures hors-sol permettent de réimplanter une production locale au cœur même des agglomérations, dans un pays qui souffre de sa dépendance alimentaire et dont les terres agricoles ne cessent d’être rognées par la ville», ajoute Nelly Niwa, cheffe de projet à l’Université de Lausanne, auteure d’une thèse sur l’agriculture urbaine à Genève et Tokyo.
De l’électronique à la culture de salades
En souffrance sur leurs marchés traditionnels et en quête de diversification, de nombreux fleurons de l’industrie nippone, parmi lesquels Panasonic, Sharp ou Toshiba, ambitionnent aussi d’avoir la main verte. Dans la préfecture de Fukushima, le géant de l’électronique Fujitsu a converti depuis 2012 une ancienne fabrique de microprocesseurs en serre high-tech, dont les 3500 laitues récoltées chaque jour se targuent d’être pauvres en potassium, calibrées pour les malades souffrant de problèmes rénaux.
«Dans les derniers jours de leur croissance, elles sont exposées à des rayons ultraviolets pour subir un «coup de stress» qui libère les antioxydants et augmente leurs vertus sanitaires», explicite M. Tozai. D’autres laborantins obtiennent des épinards «sur mesure», plus sucrés et riches en vitamine C, en les soumettant à un coup de froid! De quoi attiser quelques réticences chez les consommateurs japonais? La catastrophe de Fukushima, en mars 2011, et la menace des terres contaminées par la radioactivité ont semble-t-il changé la donne, ce maraîchage hermétique au monde extérieur étant dès lors perçu comme plus sûr.
90% d’eau de moins
Les défenseurs des fermes verticales, eux, préfèrent en louer les mérites écologiques. «En recourant à l’hydroponie et en récupérant la vapeur d’eau émise par les végétaux pendant la photosynthèse, elles consomment, à surfaces égales, 90% d’eau de moins que les cultures traditionnelles!» estime Toyoki Kozai.
Toutefois, l’exemplarité environnementale n’est pas encore tout à fait au rendez-vous. La faute à une consommation énergétique plombée par le recours massif aux LED et à la ventilation. «Les progrès de la LED par rapport au néon fluorescent ont beau être spectaculaires, il reste un saut technologique à franchir en la matière», reconnaît Toyoki Tozai. Sans quoi les trois quarts des usines à végétaux risquent bien de rester déficitaires. Ou de continuer à limiter leur production aux légumes à feuilles et aux plantes aromatiques, moins énergivores que le riz ou les céréales.
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Pourtant parmi les happy few rentables, la société Spread a entendu le message. Et vient d’investir 19,5 millions de francs suisses dans l’ouverture d’une seconde usine à la fin de 2017. «A l’exception de l’ensemencement, toutes les tâches seront assurées par deux bras robotisés. Capteurs et logiciel satisferont en temps réel les besoins des végétaux, et nous avons aussi mis au point notre propre système de LED, plus économe de 30%», anticipe Naohiro Oiwa, qui mise sur cette automatisation pour récolter 30 000 salades par jour sur un demi-hectare tout en divisant par deux le nombre d’employés.
Côté européen, l’heure est davantage aux premières expérimentations. Abri antiaérien transformé en usine à laitues à Londres, conteneurs à fraises installés à Paris, ferme urbaine lyonnaise cultivant salades, aubergines et plantes aromatiques…, les projets essaiment, jusqu’aux Pays-Bas, où la ferme verticale de Dronten aspire à commercialiser ses laitues dans les supermarchés dès la rentrée. Et ainsi enraciner la salade du futur sur le Vieux Continent?