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L’agriculture urbaine bourgeonne en Suisse romande

Pour ses 20 ans, «Le Temps» a installé un potager sur son toit-terrasse, afin de promouvoir l’approvisionnement local et la nature en ville. L’action s’inscrit dans une tendance globale, visant à faire des zones urbaines des espaces de production agricole et de sensibilisation au bien-manger

Sur la terrasse du «Temps», notre collaboratrice Sylvie Logean en plein travail.  — © Yves Leresche pour Le Temps
Sur la terrasse du «Temps», notre collaboratrice Sylvie Logean en plein travail.  — © Yves Leresche pour Le Temps

Si Le Temps n’a rien d’une feuille de chou, il peut maintenant s’enorgueillir d’être un journal potager. Il y a quelques jours, poivrons, tomates, aubergines, courges, salades et autres herbes aromatiques ont pris leurs quartiers sur le toit-terrasse de la rédaction, sous le pont Bessières à Lausanne.

En tout, sept petits mètres carrés de bacs jardiniers cultivés de manière écologique, grâce au soutien de la ville de Lausanne et du producteur de semences traditionnelles Zollinger Bio. Un projet qui s’inscrit dans le cadre des causes que veut soutenir notre journal pour ses 20 ans, mais aussi dans la tendance actuelle de l’agriculture urbaine. Ce concept en plein essor en Suisse romande recoupe des pratiques diverses, qui toutes ont pour ambition de reconnecter les citadins à la production de nourriture.

«Agriculture urbaine»: le terme en lui-même peut étonner. L’agriculture, nécessitant de grandes surfaces, n’est-elle pas l’apanage des campagnes? Cela reste en grande partie vrai pour la production de céréales; mais les villes et leurs franges sont aussi des lieux de culture, notamment maraîchère. Des exploitations professionnelles installées en périphérie urbaine fournissent des fruits et légumes pour les citadins. En ville, des jardins ouvriers sont apparus dès la fin du XIXe siècle, qui se sont peu à peu mués en jardins familiaux ou communautaires. Plus récemment, des potagers ont essaimé dans des lieux plus inattendus tels que les toits. Les sommets plats et inutilisés de nos immeubles constituent en effet d’intéressants espaces de culture, pourvu que certaines précautions soient respectées.

Rendement appréciable

Un potager urbain peut fournir un rendement non négligeable, comme l’a montré une étude réalisée sur l’une des toitures de l’école d’agronomie AgroParisTech, équipée depuis plusieurs années d’un potager cultivé sans engrais ni pesticides. «Les niveaux de production atteints sont supérieurs à ceux des jardins familiaux en plein sol et proches de ceux de maraîchers professionnels en agriculture biologique en Ile-de-France», indiquent Christine Aubry, responsable de l’équipe de recherche Agricultures urbaines d’AgroParisTech, et ses collaborateurs dans un article publié sur le site The Conversation.

Les auteurs soulignent que d’autres services ont été rendus par leur installation, comme le recyclage des déchets organiques (des restes de végétaux issus de l’entretien des espaces verts ont servi de substrat pour les plantations) et la prévention des inondations, les bacs ayant permis de retenir une partie de l’eau lors de fortes précipitations.

Un autre projet, mené à la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA), a porté sur le «Bio Di Potager» installé sur le toit du bâtiment de l’école situé en centre-ville. Légumes et petits fruits bios y sont cultivés dans des sacs. Les résultats obtenus montrent que ce type d’emplacement est propice à la culture de fraisiers, en particulier de variétés anciennes, et que les fruits obtenus ne présentent pas des quantités préoccupantes de métaux lourds, comme on pourrait le craindre à cause du trafic routier.

Amélioration du lien social

Même si ces résultats sont encourageants, les jardins sur les toits et autres potagers urbains n’ont pas vocation à rendre les villes autosuffisantes. «Dans certains contextes, l’agriculture urbaine peut avoir une perspective avant tout nourricière, comme dans la ville américaine de Détroit où de nombreuses friches sont apparues suite au départ d’une partie de la population. Mais le plus souvent, les objectifs poursuivis sont multiples, allant de la production alimentaire à la promotion de la nature en ville en passant par l’amélioration du lien social», estime Gaétan Morel, chargé de projet dans le cadre du programme «Nourrir la ville» à Genève.

«L’agriculture urbaine répond à la demande sociale d’une alimentation locale, produite dans des conditions transparentes et si possible bios, détaille Natacha Litzistorf, municipale Verte du Logement, de l’Environnement et de l’Architecture à Lausanne. Mais elle contribue aussi à la qualité des micro-paysages urbains, et permet de lutter contre les îlots de chaleur qui se forment dans nos villes pendant l’été.»

A l’étranger, des villes telles que New York ou Paris se sont faites les championnes de l’agriculture urbaine. En Suisse aussi, la plupart des grandes villes ont désormais des projets en ce sens. Lausanne s’est montrée pionnière en développant dès 1996 des «plantages», soit des potagers urbains et communautaires mis à la disposition des habitants.

La ville entend désormais aller plus loin: elle a mis sur pied un rapport-préavis, prochainement soumis au vote du Conseil communal, qui définit une stratégie globale en faveur de l’agriculture urbaine, depuis les domaines agricoles municipaux jusqu’aux initiatives citoyennes. «J’aimerais que sur chaque balcon poussent des plantes qui seront consommées par les habitants. Car produire soi-même des fruits et légumes amène à privilégier les produits locaux et de saison», dit Natacha Litzistorf.

Initiatives prometteuses

A Genève, le programme «Nourrir la ville» comporte un volet sur l’agriculture urbaine, mais entend également sensibiliser les habitants aux produits agricoles locaux et au bien-manger. «L’idée est de se questionner sur notre système alimentaire et sur la manière dont la production agricole accède à la ville», relève Gaétan Morel.

Un exemple particulièrement intéressant est celui de l’Ecoquartier des Vergers, à Meyrin, qui comprendra non seulement des parcelles cultivables destinées aux habitants, mais aussi une exploitation maraîchère professionnelle et un espace dédié à la vente de produits agricoles locaux. D’autres initiatives prometteuses voient aussi le jour hors du bassin lémanique: on peut notamment citer le projet d’agriculture urbaine de Pierre-à-Bot à Neuchâtel, où l’association Rage de Vert a pratiqué le maraîchage avant de s’étendre sur de nouveaux terrains, et de céder la place à d’autres associations qui mêlent réflexions sociales et écologiques.

Lire aussi: Des variétés anciennes à protéger

Un potager sur le toit, mode d’emploi

Pas besoin de vous poser des questions si vous souhaitez installer un simple pot d’herbes aromatiques sur votre balcon. Mais les projets plus ambitieux nécessitent quelques vérifications. Principal écueil: les bacs jardiniers pèsent lourd et peuvent déstabiliser un balcon ou un toit, s’ils n’ont pas été conçus dans cette perspective.

Avant d’autoriser l’installation d’un potager urbain, les régies immobilières demandent que la charge admissible par la structure qui va l’accueillir soit déterminée par un ingénieur civil. Ce n’est qu’ensuite qu’on peut déterminer le type de culture et de substrat envisageable. Au Temps, nous avons dû faire en sorte de ne pas dépasser les 200 kg/m2, ce qui offre déjà des possibilités intéressantes.

Autre point auquel il faut être attentif: l’étanchéité du toit, qui ne doit pas être endommagée par des outils lors de l’installation des bacs. Enfin, il est nécessaire de prévoir l’installation d’un point d’eau pour l’arrosage, et un espace disponible pour le rangement du matériel. Les toits, qui ne sont normalement pas accessibles au public, doivent être sécurisés par l’installation de garde-corps, ce qui peut représenter un important coût additionnel.

Visitez notre potager en compagnie d’experts

Plusieurs visites thématiques et gratuites du potager du Temps sont prévues pour nos lecteurs. Vous pouvez d’ores et déjà vous inscrire pour:

  • le 5 juin, sensibilisation à la préservation des semences traditionnelles, avec Tulipan Zollinger, spécialiste des semences locales et traditionnelles chez Zollinger Bio;

  • le 12 juin, découverte de la permaculture, en compagnie de Jenny Webster, permacultrice au sein du bureau d'étude Permabondance.

Venez nombreux!