L’eau, l’enjeu de guerre et paix du XXIe siècle
ONU
Du 22 au 24 mars se tient à l’ONU à New York, la conférence sur l’eau. Si la réunion ne négocie aucun traité, sa tenue est importante à un moment où la communauté internationale est très loin d’atteindre les objectifs onusiens en la matière. Illustration d’une problématique à travers plusieurs exemples concrets

En 2018, c’était «day zero» à Cape Town. Cette année-là, la ville sud-africaine était menacée par un manque total d’eau. A Rome, le réseau d’eau n’est pas fiable, enregistrant des pertes de près de 50%. Le Laos a construit un grand nombre de barrages sur le Mékong. Il en résulte une réduction du débit d’eau qui tend les relations avec les pays en aval, le Cambodge et le Vietnam. Entre l’Ethiopie et l’Egypte, c’est l’immense barrage «Grande Renaissance» qui provoque de vives tensions entre les deux pays. Il y a enfin la mer d’Aral asséchée par la production intensive de coton. Ces exemples illustrent avec acuité l’importance de l’eau dans le monde. Ce sont précisément les enjeux qui sont au cœur de la conférence sur l’eau qui se tient du 22 au 24 mars aux Nations unies à New York.
Des millions de déplacés
Parler d’eau peut paraître banal. C’est pourtant une ressource vitale qui le devient encore davantage avec le changement climatique. Quelques chiffres permettent de l’illustrer. 785 millions d’êtres humains sont toujours sans services de base en matière d’eau potable. Deux milliards vivent dans des pays souffrant d’un stress hydrique élevé. Quelque 830 000 individus meurent chaque année de diarrhée résultant d’une eau impropre et d’un assainissement de la ressource insuffisant. Enfin, 700 millions de personnes pourraient être déplacées d’ici à 2030 en raison d’un manque d’eau.
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Directeur scientifique du Geneva Water Hub et codirecteur de la Chaire Unesco en hydropolitique, Christian Bréthaut est à New York pour le rendez-vous onusien dont il salue la tenue: «L’eau a souvent été le parent pauvre des préoccupations politiques. Il est essentiel qu’on discute des nombreux enjeux à venir, car comme le souligne le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, nous ne sommes pas du tout sur la bonne trajectoire pour atteindre d’ici à 2030 l’Objectif de développement durable no 6 de l’ONU intitulé «Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau». Par exemple, dans le plan infrastructurel du président américain Joe Biden se chiffrant à 550 milliards de dollars, le montant qui concerne l’eau ne s’élève qu’à 15 milliards. Pour avoir un ordre de grandeur des enjeux, le seul réseau d’assainissement des eaux en Suisse coûte 350 milliards de francs.
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La conférence onusienne est une étape importante pour structurer l’agenda 2030 en matière d’eau pour les sept années à venir, poursuit Christian Bréthaut. Nous avons énormément à accomplir, notamment dans le domaine des infrastructures.» Nombre d’accords en matière d’eau sont aussi rendus obsolètes par le changement climatique. Il faut en renégocier beaucoup. Dans la gestion de l’eau potable, il y a des lacunes. «Les eaux souterraines, par exemple, fournissent la plus grande part d’eau douce. Or nous avons des connaissances limitées sur elles. Les accords les concernant sont aussi peu nombreux, précise le scientifique. Or l’aquifère est fondamental. Les eaux de surface ne représentent que 1,2% du total. Les eaux souterraines 30%. Il est urgent qu’on sache ce qui se passe sous nos pieds pour ne pas surexploiter ces ressources ou les exposer à un risque de salinisation.» L’aquifère du Genevois fait l’objet d’un accord transfrontalier entre la Suisse et la France. C’est l’un des rares accords sur les modalités de gestion de ces eaux. «Il nous a d’ailleurs servi de référence pour gérer l’aquifère entre le Sénégal et la Mauritanie», précise le directeur scientifique du Geneva Water Hub.
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Bassin du Rhône
Par rapport aux défis à venir, le bassin du Rhône est intéressant à plus d’un titre. Si le lac Léman est régi par la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman étant donné qu’il a une rive suisse et une rive française, il est étonnant de constater qu’il n’y a pas, aujourd’hui encore, d’accord de coopération pour le Rhône, explique Christian Bréthaut. Or l’eau du Rhône est essentielle en aval du Léman pour l’agriculture, l’hydroélectricité, l’irrigation, la navigation et la centrale nucléaire du Bugey. «Mais un accord semble imminent. C’est très important, car on prévoit d’ici à 2100 une diminution du débit moyen», ajoute-t-il. C’est aujourd’hui à Genève au barrage du Seujet que les Services industriels de Genève régulent le niveau altimétrique du Léman et donc l’eau qui coule en aval. La Suisse a une responsabilité par rapport à la capacité de la France de refroidir le réacteur nucléaire du Bugey. En 2011, en raison d’une forte sécheresse, cette même centrale avait dû réduire sa production d’électricité. Le canton de Genève avait diminué le niveau du Rhône depuis le barrage du Seujet et la capacité de refroidissement du réacteur nucléaire avait été entravée. Avec le changement climatique, une coopération plus approfondie entre la France et la Suisse semble incontournable.
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Mais il n’y a pas besoin de quitter la Suisse pour être confronté à des rivalités liées à l’eau. Le canton d’Uri aimerait mettre la main sur la centrale électrique et le lac de Lucendro, à quelques kilomètres du col du Gothard. Or l’installation et le lac se trouvent entièrement sur le canton du Tessin qui y trouve une source majeure d’énergie permettant d’alimenter 26 000 ménages. Motif de la dispute entre les deux cantons: selon les autorités uranaises, la centrale électrique devrait passer sous le contrôle d’Uri. Elles relèvent que 55% de l’eau stockée dans le lac d’accumulation proviennent du bassin de la rivière Gotthardreuss sur sol uranais. Un fait a intensifié la dispute: la concession uranaise pour utiliser cette eau expire à la fin 2024 après 80 ans d’existence. Selon la NZZ, cela fait plus de dix ans qu’Uri et le Tessin se disputent sur la question.
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Les disputes relatives à l’eau sont de plus en plus nombreuses. C’est d’ailleurs l’un des domaines d’expertises du Geneva Water Hub, un centre de compétence créé en 2014 par le Département fédéral des affaires étrangères et l’Université de Genève qui va bientôt devenir un centre conjoint entre l’Université et le Graduate Institute. Interface entre la science et la politique, le Geneva Water Hub le relève: l’eau est un vecteur de sécurité, de coopération et de développement. «Nous travaillons par exemple avec les militaires du Sahel, explique Christian Bréthaut. C’est souvent l’un des derniers canaux de discussion en cas de conflits. On a pu l’observer entre Israéliens et Palestiniens, entre la Turquie, l’Irak et la Syrie. L’eau permet ou oblige toujours un dialogue.» Même le groupe Etat islamique a dû discuter du transfert de l’eau.