Pandémie
Utilisés pour se prémunir de la maladie, les équipements de protection médicaux commencent à faire leur apparition dans la nature faisant craindre une nouvelle forme de pollution liée à l’épidémie

Largement utilisés depuis le début de la pandémie, des équipements de protection contre le Covid-19 commencent à se retrouver dans la nature. Depuis un mois, l’Association pour la sauvegarde du Léman a ajouté une option à son application Net’Léman pour permettre à tout à chacun de signaler les masques abandonnés. «Pour le moment nous n’avons pas encore eu de signalements dans les eaux du Léman, mais des masques ont été retrouvés sur des cheminements au bord du lac, et ils peuvent donc finir dans le lac», détaille Suzanne Mader, secrétaire générale de l’association. Sur les réseaux sociaux aussi, les images de ces déchets liés au Covid-19 se multiplient, faisant craindre une nouvelle forme de pollution associée à la maladie.
Des eaux usées aux eaux des lacs
Autre phénomène signalé en France voisine par le Centre d’information sur l’eau (association des professionnels de la gestion des services publics d’eau): le rejet de masques et de lingettes désinfectantes dans les eaux usées. Jetés dans les caniveaux ou les toilettes, ils se retrouvent dans les systèmes de traitement et peuvent boucher des tuyaux ou endommager certains équipements. «Les masques, les gants, les lingettes n’ont pas à finir dans les toilettes, rappelle Lucas Rossi, responsable romand de l’Association suisse des professionnels de la protection des eaux. Certaines lingettes par exemple sont tissées et il en suffit de quelques-unes pour mettre hors d’usage une pompe de relevage des eaux.»
En Suisse, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) indique qu’aucune augmentation des déchets dans les eaux usées n’a été observée, «à l’exception d’indications isolées d’une augmentation de la présence de lingettes humides, ce qui peut entraîner des problèmes dans les petites stations d’épuration». La plupart sont équipées de systèmes destinés à retenir les plus gros déchets. Au-delà des dommages matériels, la présence de ces déchets dans les eaux usées pose aussi un problème environnemental. «Quand il y a de fortes pluies, une partie des eaux usées ne finit pas dans les STEP (stations d’épuration), mais est orientée dans les déversoirs d’orage. Et en fonction des systèmes, elle se retrouve dans les cours d’eau et les lacs», détaille Lucas Rossi.
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La présence de ces déchets dans l’environnement constitue une nouvelle source de pollution. Le 14 mai, l’OFEV a publié une étude globale sur l’état de la pollution aux matières plastiques en Suisse. Chaque année 14 000 tonnes de plastique sont rejetées dans l’environnement, dont 2700 tonnes proviennent du littering (déchets laissés à l’abandon). Il s’agit essentiellement de déchets macro-plastiques, auxquels s’ajoutent désormais masques et gants, mais dont la lente dégradation dans les eaux et les sols entraîne une production de micro-plastiques.
Un risque sanitaire
Car contrairement à ce que leur apparence pourrait laisser penser, les masques chirurgicaux ne sont pas en papier, mais bien en plastique et donc non biodégradables. Ils sont pour la plupart conçus à base de fibres synthétiques d’un polymère appelé le polypropylène. «La dégradation naturelle du polypropylène est de l’ordre de plusieurs centaines d’années, souligne Florian Breider, chimiste à la tête du Laboratoire central de l’environnement de l’EPFL. C’est typiquement l’un des plastiques que l’on retrouve le plus dans l’environnement quand on parle de micro- (particules inférieures à 5 mm) et de macro-plastiques. Avec le polyéthylène, le polystyrène et le PET, c’est l’un des polymères les plus utilisés au niveau mondial.» Sous différentes formes, il sert notamment pour les emballages alimentaires, certaines pièces de voiture, les couches… De même les gants médicaux en latex ou en nitrile (polymère) n’ont rien à faire dans l’environnement.
Leur présence dans les rues peut aussi poser un problème sanitaire. Pour les personnels chargés de l’entretien des espaces publics la question se pose: un masque contaminé par le SARS-CoV-2 est-il infectieux? Pour le moment, il est difficile de dire à quel point un masque utilisé présente un risque. Dans une note datée du 6 avril, l’OMS indique que toucher un masque peut présenter un risque de contamination, sans plus de précision. Une publication parue dans The Lancet le 2 avril montre que des traces du virus actif pouvaient être détectées sur un masque après avoir été porté jusqu’à quatre jours sur la surface interne et jusqu’à sept sur la surface externe. Toutefois, après une semaine sa présence mesurée est faible, puisqu’elle correspond à environ 0,1% de la quantité initiale.
Dès le 7 avril, différents organismes fédéraux ont publié une note sur les mesures à prendre pour la gestion des déchets en période de pandémie. Selon ces consignes, les particuliers doivent placer les équipements de protection utilisés dans des petits sacs en plastique, immédiatement après leur usage. Ils doivent ensuite être jetés avec les ordures ménagères dans des sacs fermés. La note invite également les foyers où se trouve une personne contaminée à poursuivre le tri des déchets, mais sans les apporter aux points de collecte jusqu’à la fin de l’isolement ou de la quarantaine, si le stockage à domicile est possible.
Une matière recyclable
Actuellement, les masques finissent donc incinérés avec les ordures ménagères mais ils pourraient être revalorisés. En principe, le polypropylène est recyclable, toutefois il n’existe pas pour le moment de filière en place. «Les masques que l’on utilise, qui viennent de Chine pour la plupart, ne sont pas conçus pour être recyclés, précise Véronique Michaud, professeure à l’EPFL et spécialiste des matériaux composites. Mais sur le principe c’est faisable. Il faudrait tout de même retirer les attaches élastiques, qui elles ne sont pas recyclables.» L’aspect sanitaire est un des points qui pourrait freiner la mise en place d’une telle filière, mais se pose aussi la question de la collecte. «Comme c’est un matériau fibreux, très poreux, le volume sera énorme pour que les quantités soient intéressantes d’un point de vue industriel», pointe Véronique Michaud.
Le recyclage du polypropylène permet de refabriquer des éléments nécessitant l’utilisation de ce matériau, mais l’opération a certaines limites. «Le processus a tendance à dégrader un peu les longues chaînes de molécules qui le composent et à les casser. Les propriétés mécaniques du polypropylène sont liées à la taille de ces molécules, détaille Véronique Michaud. Une des solutions c’est de mélanger du polypropylène recyclé avec du polypropylène vierge, ce qui permet de refabriquer des objets qui ont des propriétés proches de celles de départ.»
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Cette question du recyclage, ou au moins de la possibilité d’augmenter la durée d’utilisation, doit être abordée par le consortium suisse ReMask, auquel participe Véronique Michaud. ReMask rassemble des chercheurs de l’Empa (le laboratoire fédéral de recherche pour les sciences des matériaux), de l’EPFL, de l’EPFZ, de l’Université de Berne, du laboratoire de Spiez, plusieurs hôpitaux ainsi que des entreprises du textile.
«Au départ, le souci n’était pas environnemental mais celui du risque de pénurie, précise-t-elle. L’objectif était de développer des techniques permettant de décontaminer les masques pour les réutiliser. Mais aujourd’hui on peut commencer à réfléchir à produire des masques qui soient directement conçus pour être recyclables ou réutilisables.» Plusieurs groupes de recherche travaillent actuellement sur des méthodes de décontamination des masques, qui doivent encore être validées, et ont émis des recommandations pour les hôpitaux. L’étape suivante est la conception de nouveaux masques efficaces et confortables, certains envisagent également des concepts qui empêcheraient le virus de s’y fixer.
Les déchets médicaux n’ont pas explosé dans les hôpitaux romands
Dans le milieu hospitalier suisse, la mobilisation contre l’épidémie n’a pas entraîné de hausse spectaculaire des déchets médicaux. «Il n’y a pas eu d’augmentation des déchets contagieux, parce qu’il y a eu moins d’interventions chirurgicales et moins de patients autres que ceux malades du Covid-19», explique Pierre-Yves Müller, directeur de la logistique hospitalière au CHUV. Aux HUG, le volume des déchets a augmenté pendant les quatre à cinq premiers jours de l’épidémie, mais cette hausse a aussi été compensée par une diminution des autres résidus des activités médicales.
Selon les chiffres communiqués par les HUG, entre janvier et avril 2020, 155 tonnes de déchets médicaux ont été produits, alors que sur la même période leur poids oscillait entre 165 et 169 tonnes les quatre années précédentes. «Les déchets du Covid-19 ne sont pas lourds, précise Olivier Raedisch, chef du secteur environnement des HUG. Ce sont essentiellement des masques, des blouses, des gants, une fois dans une boîte ils pèsent beaucoup moins lourd que des liquides biologiques issus de l’activité du bloc opératoire, par exemple.»
Une procédure normale
Que ce soit en temps de pandémie ou non, la gestion des déchets médicaux dans les hôpitaux est soumise à un contrôle strict. «Les déchets issus des soins présentent un risque toute l’année, rappelle Olivier Raedisch. Nous sommes confrontés en permanence à des déchets issus de soins donnés à des patients atteints de tuberculose ou porteurs du VIH. Nous avons redoublé de vigilance face à la pandémie mais, en termes de protection individuelle, il n’y a pas eu de changement hormis le port du masque.» Le processus de traitement des déchets médicaux n’a donc pas changé avec la pandémie. Ils sont stockés dans des contenants hermétiques prévus à cet effet, puis transportés par des camions répondant à des normes précises pour être incinérés.
Le Covid-19 a tout de même eu un effet inattendu sur la production des déchets à l’hôpital en dehors du domaine médical. «Il y a eu un retour du plastique à usage unique notamment dans le cadre de la restauration des personnels pour prévenir les contaminations, alors qu’il avait été supprimé, note Pierre-Yves Müller. Ce ne sont pas des déchets directement liés à la pandémie, mais un effet collatéral.» E. M.-V.