Les habitants de Mayotte seront-ils rassurés? Le mystère a été, en tous les cas, partiellement résolu. Une activité volcanique serait bien à l’origine de la longue succession de tremblements de terre ressentis sur le département français depuis un peu plus d’un an. Une preuve supplémentaire en a été apportée par une équipe associant le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’Institut de physique du globe de ­Paris (IPGP), l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et d’autres organismes français de recherche, au cours d’une campagne coordonnée par le CNRS qui s’est achevée le 15 mai à bord du navire Marion-Dufresne.

Celle-ci a permis de découvrir, par 3500 mètres de fond, à 50 kilomètres au large de Petite-Terre, un volcan sous-marin inconnu. De 800 mètres de hauteur et de 4 à 5 kilomètres de diamètre, ce dernier – dont le panache de fluides s’élevant à 2000 mètres est trop court pour atteindre la surface – pourrait être apparu au cours de ces derniers mois. Le fruit d’une formidable éruption sous-marine d’une ampleur inédite pour le territoire français, et une naissance jamais vécue en direct ailleurs dans le monde!

Bâtiments fissurés

Depuis le 10 mai 2018, Mayotte vit au rythme des secousses sismiques. Selon un décompte effectué par le BRGM, dont les sismomètres furent longtemps les seuls à opérer sur le département, l’archipel a connu, en une année, pas moins de 1852 secousses de magnitude supérieure ou égale à 3,5, parmi lesquelles 31 (d’une magnitude supérieure à 5) ont été largement ressenties par la population.

L’archipel a connu, en une année, 1852 secousses de magnitude supérieure ou égale à 3,5

«La plus forte de toutes, survenue le 15 mai 2018, a, avec 5,8, surpassé le record détenu sur le département par le tremblement de terre de 1993 qui était, quant à lui, limité à 5,2», indique Nicolas Taillefer, responsable de l’unité Risque sismique et volcanique au BRGM, à Orléans. Outre l’émoi bien compréhensible qu’il a suscité dans le public et les fissures qu’il a créées sur certains bâtiments, ce phénomène de séismes dits en essaim, déjà observé à d’autres endroits du globe, a, dès le départ, intrigué les scientifiques, surpris par sa durée exceptionnelle et sa localisation dans une zone jusqu’ici considérée comme étant de faible sismicité.

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Un intérêt relancé, en novembre 2018, après la détection, par diverses stations sismiques situées à des milliers de kilomètres de là, de signaux basse fréquence ressemblant à des ondes de trémor, un type de vibration associé à la circulation des laves dans des conduits. Puis, encore une fois, en juillet 2018, l’analyse des données des six stations GPS de l’Institut géographique national (IGN) installées sur le département avait mis en évidence un déplacement de l’ensemble de l’archipel vers l’est, éventuellement explicable par un processus de déflation, ou mouvement de fluides à l’intérieur d’une chambre magmatique. En un an, Mayotte aurait migré de 10 centimètres et se serait affaissée de 13!

Depuis, dans le cadre d’un programme coordonné par le CNRS avec le financement des Ministères de la recherche et de la transition écologique et solidaire, des scientifiques ont procédé en urgence au déploiement en mer, à Mayotte et (au cours d’une rotation organisée par l’armée) sur l’île inhabitée de la Grande Glorieuse, de toute une panoplie d’instruments de mesure. Dès les mois de février et mars, des sismomètres en fond de mer (OBS) et des stations sismologiques, des systèmes de positionnement par satellite (GNSS) et géophysiques terrestres sont venus renforcer le réseau d’observation de la région.

Le volcan nouveau-né […] a peu de chances de présenter un danger

Philippe Kowalski, Observatoire volcanologique du piton de la Fournaise

La campagne de neuf jours qui vient de s’achever s’inscrivait dans la continuité de ces opérations. Elle a consisté à récupérer et à redéployer les six OBS qui avaient été immergés en mars, à mesurer, à l’aide des sondeurs multifaisceaux et des sondeurs à sédiments du Marion-Dufresne, les caractéristiques mal connues des fonds sous-marins dans la zone de l’essaim et à réaliser des séries d’images de la colonne d’eau afin de détecter d’éventuelles sorties de fluides et de gaz. Grâce à une «bathysonde» (un capteur sous-marin multiparamètres) et à une drague à roche, les chercheurs ont également récupéré quantité d’échantillons d’eau et de basalte en cours d’acheminement à Brest.

Cône volcanique

La mission a ainsi permis de mettre en évidence l’existence, sur une cinquantaine de kilomètres à l’est de Mayotte, d’un système de rides fait d’anciens volcans au bout duquel le Marion-Dufresne a découvert un cône volcanique récent, en tous les cas absent des derniers relevés de 2005. Les scientifiques n’ont pas réussi à préciser si ce dernier est encore actif malgré le panache de fluides qui s’en échappe toujours.

En analysant les enregistrements effectués par les OBS, l’équipe a aussi réussi à localiser les sources des essaims qui se sont manifestés au cours de ces deux derniers mois. Elle a ainsi eu la surprise de constater que cette activité sismique n’était pas créée au niveau du volcan, mais, plus près de la côte, à une vingtaine de kilomètres de profondeur, dans deux périmètres, situés à 25 et à 5 ou 10 km de Petite-Terre. «Enfin, juste en surplomb de cette dernière zone – la plus active des deux –, les instruments du Marion-Dufresne ont repéré les restes d’une ancienne caldeira large de quatre kilomètres et entourée d’anciens petits volcans», précise Stephan Jorry, chercheur à l’Ifremer et coresponsable de la mission.

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Comment cette activité volcanique et sismique pourrait-elle évoluer? Quels risques en termes d’éruptions, de tsunamis ou de tremblements de terre lui sont associés? Le volcan de 3 kilomètres cubes découvert pourrait-il poursuivre sa croissance et, malgré les 3500 mètres séparant sa base de sa surface, finir par former une île au large de Mayotte? En combien de temps?

Pour l’heure, les participants à la mission se déclarent incapables de trancher entre les différents scénarios sans examen plus approfondi des données récoltées. Même si, observe Philippe Kowalski, ingénieur de recherche CNRS à l’Observatoire volcanologique du piton de la Fournaise, dépendant de l’Institut de physique du globe de Paris: «Le volcan nouveau-né est situé à plus de cinquante kilomètres de Petite-Terre, à une très grande profondeur et dans une sorte de plaine où il a peu de chances de présenter un danger.» Par contre, la zone d’essaim sismique située au plus près de la côte devra faire l’objet d’une surveillance renforcée.