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Mort de Bruno Latour, penseur de la crise climatique

Bruno Latour est mort. Le philosophe des sciences a inspiré une nouvelle génération d’intellectuels et de militants écologiques. Il avait accordé un entretien au «Temps» en pleine pandémie

Bruno Latour, le 3 février 2021. — © JOEL SAGET / AFP
Bruno Latour, le 3 février 2021. — © JOEL SAGET / AFP

Bruno Latour, l’un des intellectuels français contemporains les plus influents, est mort à l’âge de 75 ans, a annoncé dimanche son éditeur, Les Editions La Découverte. Philosophe, sociologue et anthropologue iconoclaste, il traitait des sciences, de droit, de religion, de la modernité. Mais au cours des dernières années, c’est surtout l’écologie, qui a occupé sa pensée, l’a fait connaître auprès du grand public et a inspiré une nouvelle génération d’intellectuels et de militants.

Le président français Emmanuel Macron a loué dans un tweet «un esprit humaniste et pluriel, reconnu dans le monde entier avant de l’être en France». La première ministre Elisabeth Borne a elle salué les travaux du philosophe, qui «continueront d’éveiller les consciences».

«La France, le monde et l’écologie perdent un immense intellectuel. Nous perdons un compagnon d’une extraordinaire humanité, un homme qui, à chaque échange, à chaque lecture, nous rendait plus intelligents, plus vivants!», a écrit l’ancien candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot.

Crise climatique, crise de l’engendrement

Le Temps l’avait rencontré à son domicile à Paris en février 2021, en pleine pandémie. Ce virus, expliquait-il, est comme un émissaire: il prépare l’être humain aux mutations qui l’attendent. Non pas à la guerre, mais à la quête d’un «modus vivendi».

A lire ici: Bruno Latour: «Le virus n’est pas arrivé chez nous. Nous sommes chez lui»

Dans un entretien au Monde en 2019, il parle d’une «crise de l’engendrement», à propos de cette question qui occupe d’après lui à peu près tous les débats politiques actuels, à savoir: «Comment va-t-on s’y prendre pour que le monde continue?»

«L’écologie c’est la nouvelle lutte des classes», disait-il encore au quotidien français, dans une interviewen décembre 2021, dans laquelle il mentionnait la dimension «géosociale» des conflits: les lignes de fractures se forment désormais sur «les questions de l’habitabilité de la planète», expliquait-il.

Il invitait aussi l’écologie à soigner les affects, pour se rendre désirable et sortir des carcans moralistes où on l’enferme. Au mot «décroissance», il préfère celui de «prospérité»: il permet de mieux comprendre en quoi «l’obsession pour la production destructrice». Il consacre ses travaux et réflexions les plus récents à l’anthropocène, qui désigne l’ère géologique caractérisée par l’impact humain sur l’écosystème terrestre. Une «découverte» qu’il compare à celle de Galilée.

Né à Beaunes, dans le centre-est de la France, en 1947 dans une famille bourgeoise de négociants de vin de Bourgogne, Bruno Latour a été militant de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) dans les années 1960. Il se dit influencé par la pensée de Charles Péguy et de Michel Serres. Après son agrégation en philosophie, il part enseigner la philosophie de Décartes dans un lycée technique à Abidjan, en Côte d'Ivoire, tout en menant ses recherches en anthropologie.

Traduit en vingt langues

En 1982, il entre à l’Ecole des mines, où enseignera jusqu’en 2006, notamment au Centre de sociologie de l’innovation. Puis il rejoint Sciences Po Paris, où il dirigera la recherche de 2007 à 2012. Là, en 2009, il contribue à la création de plusieurs programmes, dont le Médialab, laboratoire interdisciplinaire qui mène des recherches sur les relations entre le numérique et les sociétés. Ou encore en 2010, le programme d’expérimentation en arts et politique (SPEAP).

En 2013 il reçoit le prix Holberg, en 2021 le prix de Kyoto, pour l’ensemble de ses travaux. Ses livres sont traduits en vingt langues. Deux ouvrages consacrés à l’écologie, en particulier, l’ont fait connaître auprès du grand public: Où atterrir? (La Découverte, 2017) et Où suis-je? (La Découverte, 2021). Parmi d’autres ouvrages les plus connus, on peut citer La Vie de laboratoire (1979), ou encore Politiques de la nature (1999). En mai, Arte a publié une série d’entretiens dans lesquels il clarifie son propos et sa pensée, et dont Le Monde publie aujourd’hui des extraits sur son site.