Sur trois écrans noirs, des petits points blancs s’agitent, furtives étoiles dans l’infini. De plus en plus nombreuses, leur danse s’organise peu à peu, comme en orbite. Progressivement cette étrange et hypnotique chorégraphie dévoile son sens caché: en son cœur, la Terre comme centre de gravité, tout autour des satellites et leurs millions de débris, autant de déchets volants qui, chaque jour, envahissent un peu plus l’espace qui nous entoure.

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Créée par le collectif berlinois Quadrature, Orbit, une animation basée sur des données réelles de la NASA, fait partie de l’exposition Futurs incertains présentée jusqu’au 7 juillet par le Musée d’art de Pully et le Musée cantonal de géologie à Lausanne. Une quinzaine d’artistes et neuf scientifiques de différentes disciplines – géographie, climatologie, philosophie des sciences, géologie, histoire des religions, psychologie… – y croisent leurs regards rationnels et poétiques sur l’avenir de l’humanité, ainsi que sur notre planète confrontée au dérèglement climatique, à la disparition des espèces et à l’épuisement des énergies fossiles.

Fin de l’anthropocène?

Oscillant entre réflexion et émotion, Futurs incertains ouvre des perspectives autant qu’elle interroge. Avec plusieurs questions en ligne de fond telles que: assiste-t-on à la fin de l’anthropocène, cette subdivision de l’échelle des temps géologiques ayant débuté lorsque les activités humaines ont commencé à avoir un impact significatif sur l’écosystème terrestre? Mais aussi, pourquoi nous est-il si difficile de réagir face aux catastrophes annoncées, ou comment se confronter intelligemment aux discours prédisant la fin de notre civilisation?

«Les sujets d’actualité liés aux problèmes écologiques prennent une ampleur considérable dans le débat sociétal, explique Delphine Rivier, directrice du Musée d’art de Pully. Face à ce flux important d’informations, il est parfois difficile de s’y retrouver. C’est pourquoi nous avions envie de poser les enjeux liés à ces questions en proposant un parcours oscillant entre faits objectifs – par la voix des scientifiques – et visions subjectives, en exposant des artistes dont le travail est depuis longtemps inspiré par les technologies et les sciences.»

Un autre regard sur le vivant

Aux côtés des œuvres de plusieurs artistes internationaux et suisses – dont Julian Charrière et ses Metaphorisms, intrigantes sculptures à base de roches, smartphones et ordinateurs portés à très haute température –, l’exposition pulliéranne propose plusieurs interventions filmées, d’une durée totale de 1h30 et articulées en trois sections distinctes.

La première s’attache ainsi à analyser les conséquences des perturbations provoquées par les activités humaines sur l’environnement et leurs impacts éventuels sur notre société, toujours portée par le mythe de la croissance perpétuelle. «Nous allons devoir vivre sur une planète plus hostile et, selon toute probabilité, nous y disposerons de beaucoup moins d’énergie, y décrit Dominique Bourg, philosophe et professeur ordinaire à l’Institut de géographie et de durabilité à l’Université de Lausanne. Il est difficile d’imaginer ce que sera demain, mais le low-tech devrait prendre plus de place, notamment via la construction de logements en pisé, par exemple. Notre regard sur le vivant ne sera plus le même.»

La seconde partie, dénommée «L’homme: prédateur et victime», est quant à elle consacrée à la psyché humaine, à tous ces freins qui nous empêchent d’agir, pris en étau que nous sommes entre la peur de laisser une situation alarmante se poursuivre et celle de changer radicalement nos modes de vie. Quant à la dernière section, elle s’attelle à penser le futur de l’homme, dans la remise en question de notre idéologie du progrès. «Pour générer d’autres visions du monde, il est crucial de renouveler nos représentations, analyse Delphine Rivier. Dans ce sens, le discours artistique, notre capacité à rêver, à créer et à imaginer, est une ressource indispensable.»

Tour à tour anxiogènes, touchants ou sublimes, les récits proposés par les artistes et les scientifiques ont assurément la fonction, vitale, de ne pas laisser indifférent.


«Futurs incertains», à voir au Musée d’art de Pully et au Musée cantonal de géologie à Lausanne jusqu’au 7 juillet 2019.