«Les trafiquants ont décimé les éléphants et le bois de rose en Asie avant de se tourner vers l’Afrique. La même chose est en train de se passer pour le pangolin», explique Jorge Rios, directeur au sein de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), qui a récemment publié son premier rapport sur la criminalité internationale liée aux ressources naturelles.

A son corps défendant, le pangolin est sous les projecteurs de la conférence de la Convention internationale sur le commerce d’espèces sauvages menacées d’extinction (Cites), qui se tient à Johannesburg jusqu’au 5 octobre. Il était temps: largement méconnu, ce curieux animal nocturne au corps recouvert d’écailles, qui se recroqueville en boule comme le hérisson à la moindre menace (ce qui le rend facile à attraper), est le mammifère le plus trafiqué au monde.

Selon un rapport de l’ONU, 107 060 pangolins de contrebande (dont 10% vivants) ont été saisis entre 2007 et 2013, alors que seulement 1467 ont été vendus légalement. Le trafic aurait triplé en dix ans. On estime qu’au total, un million de ces insectivores, qui ressemblent aux tatous sud-américains, ont été braconnés en Asie (Indonésie, Malaisie, Thaïlande) mais aussi, de plus en plus, en Afrique (20% des saisies), pour alimenter le marché chinois.

Egorgés devant les clients

Les pangolins sont protégés depuis 1994 par la Cites (annexe 2). Jusqu’en 2000, ils étaient surtout chassés en Asie pour leurs peaux, exportées au Japon et aux Etats-Unis pour fabriquer des sacs et ceintures. Mais ce commerce, basé à Singapour, s’est effondré quand la Cites a cessé, en 2000, de délivrer des permis d’exportation pour les pangolins d’Asie, dont deux espèces sont «en danger critique». Mais l’appétit pour le pangolin ne s’est pas arrêté pour autant, au contraire.

L’enrichissement de la classe moyenne en Chine et au Vietnam a entraîné une explosion de la demande de sa viande, considérée comme un mets de luxe (tout comme la soupe d’ailerons de requin, voir encadré). Un pangolin vivant de 4 kilos peut se monnayer jusqu’à 3000 dollars en Chine. Le fin du fin pour les bons restaurants au Vietnam est d’égorger l’animal devant les clients, afin de recueillir son sang paré (consommé en soupe ou pudding) avant de l’emmener en cuisine pour être bouilli, grillé ou frit, selon des témoignages contenus dans un rapport de l’organisation américaine WildAid.

Vertus curatives imaginaires

La malédiction du pangolin vient aussi de ses écailles: la médecine chinoise leur prête, tout comme aux cornes de rhinocéros, des vertus miraculeuses (contre l’asthme, le rhumatisme, les maladies de la peau, etc.). Les écailles de pangolins et les cornes des rhinos blancs d’Afrique du Sud – tous deux ne contiennent pourtant que de la kératine, comme les ongles humains – se retrouvent ainsi souvent expédiés dans les mêmes containers, sur les bateaux en partance pour l’Asie. Parfois, ils sont aussi mélangés à des défenses d’éléphants africains, également décimés depuis dix ans (un éléphant tué toutes les 15 minutes).

Plusieurs pays ont donc proposé de classer les pangolins dans l’annexe 1 de la Cites afin de bannir tout commerce international. «Les pays seront aussi obligés de mettre en place des plans de conservation des pangolins», explique Stéphane Ringuet de WWF. Reste à voir si ces mesures seront suffisantes pour sauver ce petit animal vulnérable, qui n’a qu’un bébé par an et vit mal en captivité. Pas question d’envisager des élevages, comme pour les rhinocéros. Seuls des programmes de sensibilisation des Chinois et des Vietnamiens et une coordination internationale pour lutter contre les réseaux de trafiquants permettront de sauver le petit pangolin.


Requins. En pharmacie ou au restaurant, les ailerons ont la cote

Au sommet de la Cites, les requins soyeux et pélagiques pourraient rejoindre cinq autres espèces de requins protégées depuis 2013. Ces grands prédateurs sont menacés d’extinction. Leurs ailerons sont prisés par les Chinois qui les consomment sous forme de soupe, aux vertus soi-disant miraculeuses, tandis que leur viande se vend surtout au Brésil et dans les restaurants asiatiques en Europe.

L’aileronage – qui consiste à couper les ailes des requins vivants, sur les ponts des bateaux, puis de les rejeter à la mer – est aujourd’hui largement interdit. Mais la surpêche des requins – par l’Espagne, l’Indonésie, Taïwan et le Japon – continue, surtout en raison du commerce de la viande, qui a augmenté de 40% en volume en dix ans. «Cent millions de requins sont tués chaque année, affirme Luke Warwick, de l’ONG The Pew Charitable trusts. C’est deux fois trop!»

Dix pays ont pris les devants, en interdisant toute pêche dans leurs eaux, comme les Maldives en 2010: «On s’est rendu compte que c’était plus rentable économiquement de protéger les requins pour le tourisme que de les pêcher», explique Mary Salim, du Ministère local de l’environnement. Les pays favorables à la protection des requins, qui jouent un rôle clé dans la préservation de la chaîne alimentaire et tout notre écosystème, sont confiants dans leurs chances de l’emporter sur les opposants (le Japon et l’Asie du Sud-Est). Mais ce n’est qu’une étape: 80% des grands requins resteront en dehors du filet de protection de la Cites.