Recyclage
L’Union internationale des télécommunications a publié un rapport mercredi mettant en évidence de graves lacunes, dont l’absence de traçabilité pour 80% des déchets électriques et électroniques générés dans le monde. Des changements de modèles économiques sont jugés nécessaires

Aujourd’hui, 53,6% de la population mondiale, soit 3,6 milliards de personnes, utilisent Internet. A l’échelle planétaire, on compte 7,7 milliards d’abonnements pour téléphone portable. Aux Etats-Unis, les adultes sont 36% à posséder un smartphone, un ordinateur et une tablette. Sur le plan technologique, des équipements tels que réfrigérateurs, climatiseurs, pompes à chaleur, lave-vaisselle, sèche-linge, fours à micro-ondes, aspirateurs, bouilloires, etc. sont devenus plus abordables et la classe moyenne de la planète ne cesse de grandir. L’obsolescence technologique des équipements, souhaitée par les fabricants, accélère l’abandon de vieux équipements et l’achat de nouveaux matériels. Ces données impressionnent. Mais elles s’accompagnent d’un phénomène moins glorieux: les «e-waste», ou déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE).
L’équivalent de 4500 tours Eiffel
Dans un rapport publié mercredi par l’Union internationale des télécommunications (UIT) en collaboration avec l’Université des Nations unies de Bonn et l’Association internationale des déchets solides, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2016, la planète a généré près de 44,7 millions de tonnes de tels déchets, soit 6,1 kilos par habitant. C’est l’équivalent de 4500 tours Eiffel. En 2014, on était à 5,8 kilos par habitant. A voir la forte croissance dans la production et la consommation de ces biens, «il y a urgence d’agir», insiste Vanessa Gray, experte en e-waste et responsable de la Division Télécommunications d’urgence pour les Etats les moins développés à l’UIT. Selon les prévisions, les DEEE devraient atteindre les 52,2 millions de tonnes d’ici à 2021.
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L’UIT s’inquiète du cruel manque de processus de recyclage. Des 44 millions de tonnes de déchets, 80% ne font l’objet d’aucune traçabilité. Ils terminent dans des incinérateurs, dans des décharges ou sont en partie recyclés par des individus avant d’être jetés. Seuls 20% sont collectés et recyclés. «Ces chiffres sont choquants, admet Vanessa Gray. Le taux de recyclage est beaucoup trop bas. Il n’y a que 41 pays qui compilent des statistiques. Or, sans de telles données, difficile d’élaborer un plan de gestion.» Deux tiers des pays de la planète ont pourtant une législation en la matière. «Et leur nombre augmente», se félicite Vanessa Gray, même si les lois nationales ne sont pas toujours appliquées. Les pays développés n’hésitent pas à exporter leurs déchets vers l’Afrique. En 2015 et 2016, plusieurs membres de l’Union européenne ont été à l’origine de 77% des équipements électriques et électroniques usagés exportés vers le Nigeria.
La Chine, plus grand générateur de déchets
L’Asie est le continent qui a produit le plus de DEEE avec 18,2 millions de tonnes en 2016. La Chine bat à peu près tous les records. C’est le pays le plus peuplé du monde. Elle est un acteur majeur dans l’industrie des DEEE, a une forte demande intérieure et est très active dans le recyclage et la mise à jour de tels équipements. Si elle est le plus grand producteur mondial de déchets électriques et électroniques (7,2 millions de tonnes) et que les prévisions sont tout aussi effrayantes (27 millions de tonnes d’ici à 2030), elle a une industrie du recyclage très florissante.
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«La Chine a d’immenses centres de recyclage qui peuvent coûter des milliards de dollars. Mais c’est un secteur prospère. De nombreux petits pays ne pouvant pas se permettre de telles installations exportent leurs déchets en Chine», explique Vanessa Gray. L’Afrique ne produit pas beaucoup de DEEE, mais elle sert souvent de dépotoir des pays riches. En Europe, les déchets sont nombreux, mais le taux de recyclage est aussi le plus élevé de la planète. La Scandinavie est un modèle du genre à l’image de la Norvège (74%) et de la Suède (69%). La Suisse dispose elle aussi d’un modèle de gestion des DEEE très efficace (74%).
L’intérêt d’une bonne gestion est crucial pour la protection de l’environnement. Les DEEE contiennent des plastiques et des éléments tels que l’or, l’argent, le cuivre, le platine, l’aluminium, le plomb, le mercure, les terres rares. Selon l’Université des Nations unies, les récupérer pourrait engendrer des revenus de 64 milliards de francs. En 2016, le monde a généré quelque 435 000 tonnes de déchets de téléphones portables. La valeur des éléments contenus dans ces téléphones a été chiffrée à près de 11 milliards de francs.
Face à cette montagne de déchets, les experts songent déjà à de nouveaux modèles économiques. Ils invitent à prolonger les cycles de vie des produits. Directeur du programme Sustainable Cycles à l’Université des Nations unie, Ruediger Kuehr juge opportun de procéder à une «dématérialisation» de la technologie: «Il serait judicieux de ne plus acheter un téléphone par exemple, mais un service qui aille au-delà du système de leasing. Les fabricants doivent avoir des incitations à rendre très accessibles au consommateur des pièces de rechange. L’Union européenne essaie en ce moment de promouvoir la notion de réparabilité des produits.» Pour Ruediger Kuehr, il est évident que le consommateur a une responsabilité. «Mais les grandes organisations, les gouvernements ont aussi leur mot à dire en exigeant par exemple 50% d’éléments recyclés dans les produits qu’ils achètent. Cela aurait un vrai impact sur la production.»