La pollution de l’air est plus meurtrière que le tabac. C’est ce qu’affirment des chercheurs de l’Université de Mayence, en Allemagne, dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue de cardiologie European Heart Journal. Selon leurs estimations, les particules fines sont responsables de la mort prématurée de 8,8 millions de personnes par an dans le monde. Soit beaucoup plus que les 7,2 millions de décès par an liés à la cigarette, selon les statistiques officielles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

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Thomas Münzel, coauteur de l’étude, explique que «le nombre de morts suite à des maladies cardiovasculaires dues à la pollution est beaucoup plus élevé que prévu. Rien qu’en Europe, il est d’environ 800 000 victimes par an.» Ce chiffre est deux fois supérieur à celui de l’Agence européenne de l’environnement (AEE), qui l’a évalué en 2018 à 400 000 victimes dans 41 pays européens. D’après l’étude allemande, les causes des décès sont multiples: dans 40% des cas, il s’agissait d’une maladie coronarienne, dans 8% d’un infarctus et dans 7% d’une pneumonie.

Les particules fines proviennent en majorité des énergies fossiles. Selon cette étude, le risque d’en mourir est plus élevé dans les pays de l’est comme la Bulgarie, la Croatie ou la Roumanie. Au total, la pollution de l’air réduit l’espérance de vie des populations vivant en Europe de plus de deux ans.

Deux fois plus

La dernière étude de ce type datait de 2015. Les scientifiques allemands en ont repris le principe, mais avec une base de données élargie. Leur modèle combine l’exposition aux particules fines PM2.5 (dont le diamètre est inférieur à 2,5 micromètres) sur des cohortes dans 28 pays européens, avec les morts prématurées par type de maladie. Cette fois, les chiffres trouvés sont deux fois supérieurs à ceux publiés en 2015.

Une exposition chronique aux particules fines trouble la fonction vasculaire, ce qui peut mener à une infection du myocarde, un infarctus ou même un arrêt cardiaque. Les liens de cause à effet entre ces particules PM2.5 et les maladies cardiovasculaires ont été déjà largement documentés, expliquent les scientifiques. Elles endommagent notamment les vaisseaux sanguins, principalement les artères, à cause d’un stress oxydatif accru.

Diabète

Pour la première fois, l’étude fait le lien entre la pollution de l’air et la survenue du diabète et de l’hypertension – sans toutefois en expliquer le mécanisme précis, qui reste à élucider. Pour François Mach, médecin-chef du service de cardiologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), la responsabilité des poussières fines est à étudier plus en profondeur: «Nous voyons tellement de personnes avec ces pathologies, alors qu’elles n’avaient aucun facteur de risque… C’est évident que la pollution peut jouer un rôle.»

Le cardiologue estime que cette étude est d’une importance capitale. «J’espère que les politiciens vont entendre le message, affirme-t-il. Il y a beaucoup à faire pour limiter les émissions de particules dans l’air et en améliorer la qualité.» Car l’Europe est une mauvaise élève. Pour Jos Lelieveld, coauteur de l’étude allemande, cela s’explique par «une mauvaise qualité de l’air, combinée à une forte densité de population, qui fait que l’exposition aux particules est l’une des plus élevées au monde».

Et en Suisse?

Cette étude ne prend pas en compte les données suisses. Selon l’Office fédéral de l’environnement, qui ne donne aucune moyenne nationale, le taux de PM2.5 en 2016 était de 8 à 11 μg/m³ (microgrammes par m³) sur le Plateau, mais au moins de 14 μg/m³ au Tessin. Soit plus que le Canada, qui l’a limité à 10 μg/m³ en 2015, ou que l’Australie, à 8 μg/m³.

En Europe, la loi prévoit un maximum de 25 μg/m³. C’est pourquoi les chercheurs n’hésitent pas, dans leur étude, à sortir de leur neutralité scientifique pour envoyer un message politique. «Nous devons changer notre modèle énergétique de toute urgence, écrivent-ils. Il ne s’agit pas seulement de respecter les Accords de Paris, mais de sauver des vies».