Protéger le climat, ça paie
Environnement
Selon une étude publiée jeudi dans «Nature», l’économie mondiale profiterait largement d’une limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C. Un bénéfice dont la répartition géographique est très contrastée

Lors de la Conférence de Paris, en 2015, la communauté internationale s’est engagée à éviter que la température moyenne de la planète en 2100 ne dépasse les 2 °C par rapport à ce qu’elle était au XIXe siècle. Elle a aussi fait le vœu que cet écart puisse être ramené sous les 1,5 °C, même si les engagements des Etats à l’époque amènent à penser que le climat de 2100 pourrait se réchauffer de 3 °C. Voire plus, puisque beaucoup de promesses n’ont pas été concrétisées.
Les études se multiplient, qui montrent les bénéfices d’un réchauffement atténué. Tout récemment, l’Organisation internationale du travail (OIT) a calculé que l’objectif des 2 °C permettrait la création nette de 18 millions d’emplois à l’échelle du globe – 6 millions perdus dans les énergies fossiles pour 24 millions créés dans les énergies vertes. Il y a quelques jours, des travaux scientifiques ont laissé entendre qu’un réchauffement de 1,5 °C n’affecterait fortement que 16% de la population mondiale, contre 29% pour 2 °C. Mais qu’en est-il de l’économie mondiale et de la croissance, si chère aux décideurs politiques?
Corrélations entre le PIB et la température
«Beaucoup d’études se penchent sur le prix de la lutte contre le réchauffement, souligne Marshall Burke (Université Stanford, Californie), cosignataire de l’étude publiée jeudi dans Nature. Mais il manquait une vision claire des effets de cette lutte sur la production de richesses.» Si les coûts associés à l’objectif de 2 °C sont généralement évalués entre 300 et 500 milliards de dollars pour les trente prochaines années – des montants probablement sous estimés –, l’étude de Nature laisse à penser que le PIB mondial profiterait d’une intensification de la lutte contre le réchauffement. «Un gain estimé à 3,4% de PIB en 2100 si la hausse de température est maintenue sous les 1,5 °C par rapport à 2 °C, et de plus de 10% par rapport à 3 °C.» Avec des dizaines de milliers de milliards de dollars à la clé de richesses supplémentaires créées dans le monde d’ici à la fin du siècle.
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«Les auteurs ne tiennent toutefois pas compte des dépenses supplémentaires pour atteindre l’objectif de 1,5 °C, regrette Bob Ward, de la London School of Economics. Et à l’inverse, ils ne prennent pas en compte les effets positifs au-delà de 2100, qui seraient probablement importants si, par exemple, une hausse importante du niveau des océans était évitée.»
Surtout pour les pays chauds
L’étude de Nature repose sur un taux d’escompte moyen de 3%. «C’est un outil qui permet de calculer ce que représente aujourd’hui une richesse produite dans le futur, ajoute Marshall Burke. Le solde final varie avec le taux d’escompte mais pas la tendance: le monde sera plus riche en limitant la hausse de température à 1,5 °C. Pour près de 70% des Etats – qui représentent 90% de la population mondiale – il s’agit bien d’un bénéfice.»
En profiteraient surtout les pays riches et chauds – Koweït, Qatar, Arabie saoudite, etc., avec un PIB accru d’environ 20% –, mais aussi les pays les plus vulnérables d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, et des grandes puissances économiques comme les Etats-Unis (+4%), la Chine (+6%), ou l’Inde (+12%). En revanche, les pays au climat froid perdraient au change, comme la Russie (-54%) ou le Canada (-37%). En Europe, les économies seraient elles aussi perdantes comme la Norvège (-40%), la Suisse (-19%) ou la Grande-Bretagne (-10%).
Redistribution des bénéfices
Face à cette étude, les interrogations demeurent. Quel serait l’impact, par exemple, d’une rupture technologique dans la production et la sobriété énergétiques? «Une révolution pourrait démentir nos calculs, répond Norah Diffenbauch, cosignataire de l’étude de Nature. Mais quand on regarde le demi-siècle passé, l’innovation n’a pas modifié la relation qui existe entre la production de richesse et la température.» Ce qui, pour Bob Ward, n’est pas une raison pour «que l’impact du réchauffement à venir puisse être extrapolé à partir du passé».
«Cette étude confirme les opportunités de l’action climatique. C’est important pour infléchir les politiques publiques, commente Géraldine Pflieger, directrice de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève. D’autant plus que cette étude ne tient pas compte des effets positifs d’un réchauffement modéré sur la santé ou sur les services rendus par des écosystèmes.»
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L’importance de l’étude résiderait notamment dans sa lecture géographique. «L’OIT a montré que les créations d’emplois profiteront surtout aux économies les plus riches. Il faudra donc veiller à redistribuer les bénéfices de la lutte contre le réchauffement, dans un souci de justice sociale. Cela vaut autant entre le Nord et le Sud qu’à l’intérieur d’un pays comme les Etats-Unis, entre les Etats qui profitent de l’économie verte et ceux qui en souffrent parce qu’ils vivent des énergies fossiles.»