Portrait
Professeur de biologie de la conservation, le Valaisan dirige un département très en vogue. De quoi réjouir cet homme qui alerte sur l’état du monde depuis quarante ans

«C’est extraordinaire, j’ai l’impression que mes préoccupations de jeune adulte sont enfin en train de mobiliser.» Les manifestations pour le climat, Raphaël Arlettaz les appelait déjà de ses vœux dans les années 1980. Premier écolo dans sa famille, premier titulaire de la première chaire de biologie de la conservation de Suisse, le professeur valaisan avait-il une génération d’avance? «Ce serait arrogant de l’affirmer, dit-il, mais je pense que oui.»
Ils sortent du bois
C’est dans la campagne de Fully, où il grandit, que le Valaisan se rappelle avoir découvert ses premières merveilles de la nature: des têtards. «Je jouais à les pêcher dans un étang du coin, raconte-t-il. Ils ont tous été canalisés depuis. Mais dans les années 1960, il y avait encore un peu d’habitats naturels dans la campagne environnante.» Sa passion pour le vivant n’est pas une affaire de famille, loin de là: «Mes parents n’étaient pas vraiment passionnés de nature. C’est plutôt la politique qui les faisait vibrer.»
Son père siège au Grand Conseil valaisan pour le compte du PDC durant vingt-quatre ans, le préside même en 1982. Son grand-père maternel était conseiller national à Berne. «Et moi j’aimais les animaux», résume-t-il. Mais le virus de la politique le contamine également, et il s’engage lui aussi. Sous une autre bannière toutefois: «J’ai été le premier candidat vert du Valais», sourit-il. Sous le slogan «Ils sortent du bois», lui et deux compères font acte de candidature au Conseil communal de Fully. Sans succès. Sans surprise non plus: «Dans le Valais des années 1980, rigole-t-il, imaginez-vous…»
Quelques articles du «Temps» citant Raphaël Arlettaz ou écrits par lui-même
Raphaël Arlettaz met alors la politique de côté pour se consacrer à ses études. Après un premier diplôme en science et géographie à l’Université de Fribourg, il enchaîne sur un doctorat en biologie à Lausanne. Passionné, il ne s’arrêtera plus. Il se spécialise dans la bioacoustique des chauves-souris, publie dans la prestigieuse revue Nature, réalise un post-doctorat en Ecosse et prend la direction de la chaire de biologie de la conservation de l’Université de Berne. Nous sommes au début des années 2000.
A côté de ses activités académiques, il participe à la réintroduction du gypaète barbu dans les Alpes suisses, prend la présidence de la Société valaisanne de biologie de la faune et s’accorde deux semestres sabbatiques dans des universités en Argentine et en Australie. Hyperactif, son dernier projet est presque mûr: une encyclopédie des oiseaux de son canton. Une partie des clichés de l’ouvrage sont les siens – il est également photographe animalier à ses heures perdues. Malgré un agenda de ministre, il a également trouvé le temps de fonder une famille avec Brigitte Fournier, cantatrice soprano lyrique, avec qui il a deux enfants.
«Ne nous comportons pas comme des levures»
S’il n’assume pas lui-même de mandat politique, le chercheur suit l’actualité avec ferveur et conseille régulièrement des parlementaires fédéraux. Très actif sur les réseaux sociaux, il y confronte régulièrement les doctrines «intenables» de certains de nos décideurs: «La Suisse investit des sommes colossales dans la recherche. Malheureusement, nos recommandations sont largement ignorées par les parlementaires et les dirigeants politiques. En découle une forme de schizophrénie: on finance la recherche à grands moyens mais on en ignore pour l’essentiel les apports.» Ce manque d’intérêt désespère le Valaisan, qui appelle à ne pas se comporter comme un unicellulaire.
«Quand on met des levures dans une boîte de Petri avec un peu d’eau et de nourriture, illustre-t-il, leur population explose, puis la plupart s’effondrent par surexploitation des ressources. Avec le cerveau hypertrophié dont nous disposons, ne nous comportons pas comme ces levures.» A défaut de trouver l’écho désiré sous la Coupole, l’environnementaliste se réjouit de voir les jeunes prendre la rue pour le climat.
Avec un bémol toutefois: «Le réchauffement climatique est au centre du débat, dit-il. C’est une bonne chose. Cependant, la perte de biodiversité, dont on parle moins, représente un problème bien plus aigu. Il serait largement plus complexe de s’adapter à la disparition des insectes qu’à deux ou trois degrés supplémentaires.» Mi-fataliste, mi-rêveur, Raphaël Arlettaz veut toutefois croire que la génération actuelle peut être à la source d’une innovation fondamentale.
L’harmonie terrestre, enfin?
«Je ne crois pas que les hommes aient jamais vécu en harmonie avec la nature, dit celui qui se définit comme un «sceptique actif». Une harmonie imposée par les contingences techniques peut-être, mais pas une harmonie consciente. Quand l’homme arrive dans une nouvelle zone, il défaune. Sans exception. Quand l’Australie a été colonisée par les premiers hommes il y a 50 000 ans, la plupart de ses marsupiaux ont été décimés. Pareil en Nouvelle-Zélande, où les Maoris ont exterminé toutes les espèces de grands moas.»
C’est là que nous pourrions faire la différence, espère-t-il: «Nous pourrions être les tout premiers à passer un pacte conscient avec la nature. Les premiers à entreprendre un développement véritablement respectueux de la vie sur terre.» En attendant la révolution, Raphaël Arlettaz arpente la montagne: «réservoir de ma créativité». Parfois même pendant la nuit, à tir-d’aile: «Je rêve souvent que j’ai la capacité du vol actif, dit-il en écartant les bras. La volonté de se dépasser, peut-être. Ne le dites pas à mon psy.»
Profil
1961 Naissance à Sion.
1998 Nommé président de la Société valaisanne de biologie de la faune.
2001 Professeur de biologie de la conservation à l’Université de Berne.
2014 Congé sabbatique académique à Mendoza, en Argentine.
2019 Promu directeur du Département de biologie de l’Université de Berne.