Le suspense est entier. Deux ans après l’Accord de Paris, le monde maritime s’engagera-t-il enfin dans la lutte contre le réchauffement climatique? On devrait le savoir le vendredi 13 avril, à l’issue d’une conférence qui rassemble à Londres les 173 Etats membres de l’Organisation maritime internationale, l’agence qui régule les activités maritimes. Cinq jours de négociations difficiles pourraient déboucher sur le premier engagement concret d’une activité qui s’est toujours tenue à l’écart des efforts de préservation du climat.

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Le transport maritime représente aujourd’hui entre 2% et 3% des émissions totales des gaz à effet de serre (GES) liées aux activités humaines, autant que le transport aérien. Comme ces deux activités s’exercent, pour l’essentiel, au-delà des frontières, elles n’ont pour contraintes que celles qu’elles veulent bien se donner. Ce qu’elles se sont bien gardées de faire, même si l’Organisation de l’aviation civile internationale a publié en 2016 une feuille de route climatique, timide et à l’usage des compagnies aériennes… volontaires.

De leur côté, les émissions du transport maritime ne baissent qu’en cas de crise économique majeure, faute de fret à transporter. «C’est pour cela que tout accord signé à Londres serait une bonne nouvelle, même si on sait d’avance qu’il ne sera pas assez ambitieux», souligne le Norvégien Bjørn Hallvard Samset, du Centre international de recherche climatique d’Oslo.

Perspectives sombres

Il faut dire que les perspectives du transport maritime ne sont guère encourageantes. Le trafic devrait croître de 50 à 250% d’ici à 2050, entraînant dans son sillage ses émissions de GES. Or, pendant ce temps, le reste de la planète — sauf l’aviation — s’est engagé dans une baisse qui devra être drastique. Les scientifiques calculent qu’il faudra parvenir à «zéro émission» vers 2060 à 2070, avant de capter une partie du CO2 présent dans l’atmosphère.

C’est la condition pour contenir le réchauffement (en 2100) sous la barre de 1°C par rapport à aujourd’hui, et de 2°C depuis la période préindustrielle. Résultat, si la tendance n’est pas inversée, la part du transport maritime dans les émissions mondiales de GES pourrait s’envoler de 3% aujourd’hui à 17% en 2050. Avec l’aviation, le transport maritime représenterait alors 40% de nos émissions.

C’est tout l’enjeu des discussions de Londres. L’Union européenne, soutenue par les Etats insulaires du Pacifique, propose une baisse des émissions du transport maritime comprise entre 70% et 100% d’ici à 2050 (par rapport à 2008). Elle concernerait au premier chef la Grèce, leader mondial de cette activité, dont la situation économique ne lui permet guère de peser au sein de l’Union européenne. Bruxelles agite la menace d’une action isolée dans ses eaux territoriales en cas d’accord jugé trop timide à Londres.

Le transport maritime doit agir pour réduire l’ensemble de ses rejets, et pas seulement les polluants atmosphériques

Bjørn Hallvard Samset, du Centre international de recherche climatique d’Oslo

La Norvège, dixième armateur mondial, propose une baisse de 50% d’ici à 2050. De son côté, le Japon, second armateur de la planète, et d’autres pays préconisent d’agir sur l’intensité carbone du transport maritime, la quantité de GES rejetée en déplaçant une tonne de marchandises ou un passager sur un kilomètre. Un critère qui n’empêcherait pas l’activité maritime — et le commerce japonais — de se développer sans entraves et ne ferait que tempérer la hausse insoutenable des émissions du commerce maritime.

Ralentir les navires

Quel que soit l’accord conclu à Londres, son effet bénéfique sur le climat ne se verra qu’à long terme. Les premières années — ou décennies —, l’impact serait même inverse! «Les navires ne rejettent pas que du dioxyde de carbone, explique Olivier Boucher, de l’Institut Pierre-Simon Laplace à Paris. Ils émettent aussi d’autres substances à l’image de composés soufrés, qui, une fois transformés en particules dans l’atmosphère, renvoient de l’énergie solaire vers l’espace.» Et concourent donc à rafraîchir le climat.

Des efforts sont actuellement entrepris pour réduire ces émissions de composés soufrés, dangereux pour la santé humaine. Mais Bjørn Hallvard Samset rappelle que, si ces efforts ne s’accompagnent pas d’une baisse des émissions de gaz à effet de serre, on assistera à un renforcement du réchauffement climatique que certains polluants masquaient jusque-là. «Cela montre que le transport maritime doit agir pour réduire l’ensemble de ses rejets, et pas seulement les polluants atmosphériques», relève le spécialiste.

A part ralentir la vitesse des navires ou trouver quelques astuces pour réduire leur consommation, les armateurs n’ont que deux solutions: remplacer le fuel par l’électricité ou de l’hydrogène produit avec une source d’énergie décarbonée.

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