Rendez-vous manqué pour la protection des éléphants
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La conférence de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages, qui s'est tenue à Johannesburg, a déçu les défenseurs des pachydermes. Ils espéraient l’interdiction définitive du commerce de l'ivoire

«J’ai honte d’être Suisse aujourd’hui, s’emporte Vera Weber, présidente de la Fondation Franz Weber. Chaque année, 30 000 éléphants sont tués en Afrique et 300 tonnes d’ivoire sont exportées en fraude. C’est un marché en expansion et la seule manière d’arrêter le carnage était d’interdire totalement le commerce de l’ivoire». La Suisse, tout comme l’Union européenne et les Etats-Unis, a voté contre la proposition de 29 pays africains de classer tous les éléphants africains à l’annexe I (espèces menacées d’extinction et interdites de commerce) de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages (Cites).
Réunis jusqu’à mardi soir à Johannesburg, les pays membres de la Cites ont renforcé la protection d’espèces menacées comme requins et pangolins, mais ont aussi fait éclater au grand jour de profondes divisions, notamment sur la question des éléphants.
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Moratoire sur la vente de l’ivoire reconduit
La proposition d’une interdiction totale du commerce de l’ivoire a donc été déboutée. Les populations d’éléphants d’Afrique du sud, Namibie et du Botswana sont en effet stables ou en hausse: elles resteront donc classées à l’annexe II (animaux en danger, dont le commerce est soumis à une autorisation). Mais le moratoire sur la vente de l’ivoire a été reconduit: la Cites a rejeté les demandes de la Namibie et du Zimbabwe qui voulaient être autorisés à vendre leurs stocks de défense pour financer leurs parcs nationaux.
Le Botswana, qui héberge un tiers des éléphants africains, s’est de son côté rangé aux côtés de la coalition des 29 pays africains: «Les réseaux de trafiquants sont en train de descendre vers l’Afrique australe, explique Tshekei Khama, le ministre de l’Environnement du Botswana. Il faut tout interdire pour éviter les zones grises, qui facilitent le blanchiment de l’ivoire de contrebande».
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Mais la majorité des pays et certaines ONG ont estimé que ce débat sur les annexes n’était pas primordial. «Si l’éléphant d’Afrique australe était passé en annexe I, la Namibie menaçait d’invoquer une réserve lui permettant de ne pas respecter l’embargo sur les ventes d’ivoire. Pour nous, le plus important, c’est que les pays luttent contre la corruption qui profite aux trafiquants», explique Stéphane Ringuet de WWF France.
Jusqu’ici, les 19 pays concernés par le trafic de l’ivoire (12 en Afrique et 7 en Asie) évaluaient eux-mêmes la mise en œuvre de leurs «plans nationaux pour l’ivoire». «Maintenant, c’est la Cites qui va le faire avec l’appui d’experts internationaux, notamment d’Interpol, se réjouit Stéphane Ringuet. A terme, la Convention pourra imposer des sanctions aux pays qui ne font rien».
Japon mis en cause
Autre avancée majeure: la Cites a demandé aux pays asiatiques de développer des programmes pour réduire la demande d’ivoire et surtout de fermer leurs marchés domestiques. Il est en effet encore permis d’acheter de l’ivoire importé avant l’embargo international décrété en 1989. Le Japon et la Chine ont aussi été autorisés par la Cites à acheter deux stocks de défense vendus par l’Afrique australe en 1998 et 2008. Faute de contrôle, ce marché légal a facilité l’explosion de la contrebande. Depuis dix ans, bijoux et ornements en ivoire font fureur en Asie: le prix de l’ivoire a ainsi augmenté de 280% entre 2009 et 2015.
Personne ne parle du Japon alors que ce pays n’a jamais appliqué les mesures de contrôle imposées par la Cites depuis 1997.
Le Japon est le plus gros importateur: selon un rapport de l’ONG britannique «Environnemental investigation agency» (EIA), il serait responsable de la mort de 250 000 éléphants africains depuis 1970, tués en majorité par des contrebandiers. «Personne ne parle du Japon alors que ce pays n’a jamais appliqué les mesures de contrôle imposées par la Cites depuis 1997», s’insurge Allan Thornton, directeur de l’EIA. Les ventes aux enchères de défenses et de hanko (cachets) ont explosé sur le site internet «Yahoo Japon» (30 millions de dollars entre 2008 et 2015).
Les défenses sont exportées illégalement en Chine, où elles sont sculptées et vendues à prix d’or. Les Chinois moins riches achètent des bijoux en ivoire vendus ouvertement dans des villages du nord du Vietnam. Pourtant ces ventes sont interdites par Hanoï. Mais les contrôles se limitent aux aéroports et aux villes. Selon une enquête de l’ONG «Save the elephants», le Vietnam est devenu, depuis 2009, le plus gros fournisseur de la Chine, où la production locale, plus coûteuse et mieux contrôlée, est en diminution. «La Chine s’est engagée à fermer son marché national d’ici 2018, constate Vera Weber. Mais d’ici là, combien d’éléphants seront massacrés?».
Déclarations fortes
La Cites a parfois un côté surréaliste. Il y a certes des applaudissements à chaque nouvelle entrée sur la fameuse annexe I (cette fois-ci, les bois de palissandre, toutes les espèces de pangolin, 2 espèces de requin, les macaques de Barbarie, les bouquetins du Caucase, sans oublier les perroquets gris d’Afrique, pourchassés pour être vendu comme animal de compagnie, notamment en Europe) ou même en annexe 2 (les lions, avec interdiction d’exporter leurs os, les raies manta, de nombreux reptiles et poissons). Mais dans cette réunion de 182 pays, on n’épingle rarement les mauvais joueurs, sauf quand ils sont trop flagrants comme, cette fois-ci, Madagascar (interdit de commerce du bois de rose) ainsi que le Vietnam et le Mozambique, fortement impliqués dans le trafic de cornes de rhinocéros et sommés de prendre des mesures.
Comme le note Theressa Frantz du WWF, ce fut «la conférence la plus réussie sur bien des aspects. Il reste maintenant aux pays à mettre en œuvre sur les terrains les déclarations fortes entendues à Johannesburg».
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