Les ressources en eau menacées par la fonte des glaciers
Climat
La fonte des glaciers aura des conséquences sur la quantité d’eau douce disponible dans les fleuves. Une étude parue ce jour décrit ces changements sur les 100 prochaines années et met en évidence les zones sensibles

A cause du réchauffement climatique, les glaciers fondent à une vitesse exceptionnelle. Un retrait dont l’une des conséquences pour les activités humaines se fera au niveau de la disponibilité d’eau douce dans les vallées. En effet, les quelque 200 000 glaciers du globe sont d’une importance primordiale pour le cycle de l’eau. Stockant à ce jour plus de 95% des réserves d’eau douce à la surface de la terre, ils la redistribuent ensuite en été, période de sécheresse naturelle. La dépendance des individus face à la ressource en eau offerte par les glaces est sans équivoque, mais cet équilibre est sur le point d’être rompu.
Afin de comprendre l’influence du retrait glaciaire sur les grands fleuves, une équipe internationale de scientifiques parmi lesquels des suisses de l’EPFZ (Ecole polytechnique fédérale de Zurich), a modélisé l’évolution de tous les glaciers du globe jusqu’en 2100. Mais surtout, ils ont démontré comment ce retrait influencera le régime hydrologique des grands bassins-versants du monde. Parue le 22 janvier dans la revue scientifique Nature Climate Change, leur étude offre une vision globale du phénomène et permet d’identifier les zones sensibles.
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Plusieurs scénarios climatiques
Pour simuler la fonte des glaciers du monde entier sur les cent prochaines années, les scientifiques ont développé un modèle mathématique évoluant en fonction de plus de 14 scénarios climatiques, eux-mêmes basés sur différentes concentrations futures des gaz à effet de serre comme le CO2. En réponse à cela, le modèle démontre la réaction des glaciers; comment ils montent en altitude, se retirent, fondent et deviennent plus petits.
Mais surtout, le modèle décrit les modifications des quantités d’eau provenant de ces glaciers et alimentant une grande rivière ou un fleuve. En tout, les 56 plus grands bassins-versants du monde ont été modélisés, que ce soit en Europe au niveau du bassin du Rhône, mais aussi en Amérique ou encore en Asie. Utilisant les dernières données disponibles comme des photos satellites couplées aux modèles climatiques complexes, cette étude se veut un état de l’Art de la thématique.
Cette étude est la première permettant d’avoir la preuve du timing du «Peak Water» dont tout le monde scientifique parlait depuis longtemps.
Glaciers suisses concernés
Lorsqu’un glacier commence à fondre, la quantité d’eau déversée dans la vallée augmente d’abord considérablement. Mais il arrive un moment où le phénomène s’inverse. Le stock de glace disponible est devenu trop petit et la quantité d’eau déversée dans le fleuve diminue. Un point d’inflexion appelé Peak Water que les chercheurs ont déterminé sur l’ensemble des glaciers. «Enfin! Cette étude est la première permettant d’avoir la preuve du timing du Peak Water dont tout le monde scientifique parlait depuis longtemps», commente Markus Stoffel, climatologue à l’Institut des sciences de l’environnement à Genève.
Loin d’être un processus simple, la fonte glaciaire n’évolue pas à la même vitesse en tout point de la terre, les Peak Water des différents glaciers n’ont donc pas tous lieu au même moment. En Suisse, l’étude montre que la majorité des petits glaciers sont en train de l’atteindre et que leur débit hydraulique va progressivement diminuer. Ce qui n’est pas le cas pour le glacier d’Aletsch, plus grand et moins impacté.
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En Amérique du Sud, dans les Andes, le constat est plus alarmant car le point d’inflexion est à ce jour déjà dépassé et les débits d’eau déjà amoindris. Dans le cas extrême de l’Islande, au sein d’un même bassin-versant, le fleuve drainant vers l’est voit son débit augmenter alors que celui allant à l’ouest subit le phénomène inverse.
Amoindrissement du débit du Rhône
«Ce que nous avons analysé dans un premier temps est l’évolution totale des volumes d’eau en provenance des glaciers pour un bassin-versant, afin de déterminer le Peak Water. Il faudrait ensuite aller étudier les choses plus en détail. Nous nous sommes intéressés plus précisément aux périodes estivales car c’est là que la dépendance aux glaciers, en termes de quantité d’eau douce disponible, est la plus forte», explique Matthias Huss, auteur de l’étude et glaciologue à l’EPFZ.
Il va falloir mettre en place des mesures de gestion de l’eau. En Suisse, des discussions ont déjà été engagées. Dans d’autres pays, ce sera peut-être plus compliqué et il est possible d’imaginer la montée de conflits.
Concernant le Rhône, le débit total en été pourrait diminuer de 15% d’ici à 2100, quel que soit le modèle climatique testé. Que le scénario soit optimiste, autrement dit avec une forte diminution des émissions de CO2 par l’homme, ou pessimiste avec un modèle d’émissions de CO2 comme actuellement, les glaciers de petite taille vont disparaître. Il faut s’attendre à des conséquences économiques et sociales non négligeables, selon l’auteur.
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Montée possible de conflits
Dans d’autres régions du monde comme en mer d’Aral, cette baisse estivale est estimée à plus de 30%, annonçant là aussi des changements drastiques. «Il va falloir mettre en place des mesures de gestion de l’eau, de coordination entre l’amont et l’aval. En Suisse cela se fera et des discussions ont déjà été engagées. Dans d’autres pays, ce sera peut-être plus compliqué et il est possible d’imaginer la montée de conflits», dit Géraldine Pflieger, politologue et directrice de l’Institut des sciences de l’environnement à l’Université de Genève. En permettant de cibler plus précisément les zones vulnérables, cette étude pourrait permettre de mieux anticiper un phénomène désormais en partie inéluctable.