Publicité

Ruée vers les métaux précieux des profondeurs

Cobalt, nickel et cuivre sont indispensables à la fabrication des batteries des voitures électriques. Des sociétés envisagent de les extraire des fonds marins. Mais à quel prix pour l'environnement?

Selon les scientifiques, les conséquences d’une activité minière dans les grandes profondeurs sont difficiles à évaluer. — © 123rf
Selon les scientifiques, les conséquences d’une activité minière dans les grandes profondeurs sont difficiles à évaluer. — © 123rf

Etonnamment légère, une pierre sombre et granuleuse de la taille d’une pomme de terre passe de main en main. «Cette roche appelée nodule polymétallique est âgée de 4 à 5 millions d’années et elle a été récoltée à 4000 mètres de profondeur dans le Pacifique», indique Gerard Barron, directeur général de DeepGreen Metals. Il participait à une table ronde sur l’exploitation minière des profondeurs, organisée dans le cadre de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques, qui s’est tenue du 1er au 5 juillet à Lausanne.

DeepGreen Metals est une compagnie minière canadienne qui ambitionne de créer des mines de nodules métalliques dans les fonds des océans. Et pour cause: ces roches sont de véritables bombes de métaux de valeur, tels que cobalt, cuivre, manganèse et nickel, qui entrent notamment dans la composition des batteries de voitures électriques et des turbines d’éoliennes. Mais l’impact écologique d’une telle exploitation, dans un environnement pour l’heure préservé de toute activité humaine, inquiète la communauté scientifique.

Lire aussi: Ecologique, la voiture électrique?

L’idée de tirer parti des ressources minérales des fonds marins peut faire penser à un serpent de mer: elle refait régulièrement surface depuis les années 1970. Mais l’enjeu paraît désormais stratégique. «Il y a de plus en plus d’intérêt commercial pour ce type d’exploitation», assure Katie Ellis, porte-parole de l’Autorité internationale des fonds marins (ISA). Cet organisme onusien créé en 1994 a justement pour mission de régler l’accès aux richesses des sols marins situés hors de la juridiction des Etats.

Machine de collecte des nodules

L’ISA a déjà attribué 29 permis d’exploration à différents Etats, associés à des sociétés privées ou publiques. La Chine, l’Allemagne ou encore la France, notamment, possèdent leurs propres concessions dans la zone dite de Clarion-Clipperton, située dans le Pacifique, une des régions du monde abritant la plus forte densité de nodules polymétalliques. Associée aux Etats océaniens de Nauru et de Kiribati, DeepGreen Metals a mené plusieurs expéditions sur place, avec le soutien de l’armateur danois Maersk et de la société suisse de pipelines offshore Allseas Group.

Mais les plus avancés semblent être les Belges de Global Sea Mineral Resources (GSR), une filiale de l’entreprise de dragage DEME. «Nous menons des essais dans la zone de Clarion-Clipperton avec un prototype de machine permettant de collecter les nodules en les aspirant. Ceux-ci étant déposés sur le fond océanique, il n’est pas nécessaire de pratiquer de forages», indique Kris Van Nijen, le directeur de GSR. Les nodules devraient ensuite être pompés jusqu’à la surface pour être chargés à bord de navires.

Lire aussi: La ruée vers les grands fonds s’accélère

Malgré les difficultés techniques, cette perspective pourrait bientôt devenir réalité. Les 168 Etats membres de l’ISA négocient en effet un accord destiné à réglementer l’accès aux métaux des profondeurs, qui pourrait être ratifié l’année prochaine. «Si ces lignes directrices sont adoptées, alors on pourrait enfin entrer dans une phase de faisabilité, avec l’attribution de licences d’exploitation et non plus seulement d’exploration», relève Kris Van Nijen, qui espère commencer les prélèvements en 2026.

Crevettes, vers et étoiles de mer

Faut-il s’en réjouir? Pour Gerard Barron, les nodules polymétalliques sont la solution pour diminuer nos émissions de CO2 et ainsi lutter contre les changements climatiques. «D’ici à 2050, nous aurons besoin de construire un milliard de voitures électriques. Or les solutions de recyclage ne sont pas prêtes. Et l’exploitation minière terrestre est polluante. La conception d’une batterie à partir de métaux issus des océans émettrait environ 75% de CO2 en moins par rapport à une batterie conçue avec des métaux tirés de dépôts terrestres», affirme-t-il.

Cependant, les conséquences d’une activité minière dans les grandes profondeurs sont difficiles à évaluer, mettent en garde les scientifiques. Les images capturées par des robots sous-marins dans la zone de Clarion-Clipperton ont révélé l’existence d’une biodiversité insoupçonnée, comprenant d’évanescents vers, crevettes et autres étoiles de mer. «Ces zones abritent une faible densité animale, mais les espèces y sont très diversifiées et pour la plupart méconnues. Les nuages de sédiments soulevés lors de la récolte des nodules pourraient asphyxier certains animaux», explique Daniel Jones, du Centre national océanographique britannique.

Lire aussi: Deux géants suisses s’affrontent dans la bataille du cobalt

Le biologiste rappelle l’ampleur des projets à l’étude: «Une entreprise pourrait exploiter une surface allant jusqu’à 500 km2 chaque année… soit l’équivalent du lac Léman!» Sur son site internet, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) souligne l’importance d’évaluations environnementales solides. Elle rappelle également le caractère conflictuel du rôle de l’ISA, chargé à la fois de promouvoir l’exploitation des métaux des profondeurs et de protéger l’environnement. De quoi justifier, selon elle, une surveillance accrue de la part de la communauté internationale comme du grand public.