Aux Etats-Unis, en Europe et en Australie, mais aussi au Groenland, au Malawi et au Bhoutan: ce samedi 22 avril, journée internationale de la Terre, plus de 500 villes à travers le monde accueilleront une Marche pour la Science. Né spontanément sur Internet, le mouvement s’inspire de la Marche des femmes, qui avait rassemblé quelque deux millions de personnes dans les rues américaines peu après l’élection de Donald Trump.

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Multiples attaques de Donald Trump

«Pourquoi manifester aujourd’hui en faveur de la science? Parce que nous considérons qu’elle bénéficie à l’humanité et qu’elle doit donc être encouragée. Cela peut sonner comme une évidence, mais cette idée n’est plus soutenue par une partie de la population et par certains gouvernements», estime le physicien du CERN James Beacham, qui fait partie du comité organisateur de la seule marche officielle de Suisse, prévue à Genève.

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Ce chercheur américain fait avant tout référence à la situation politique de son propre pays. Alors qu’il était encore en campagne, Donald Trump taxait déjà le réchauffement climatique «d’invention». Et depuis son arrivée à la Maison Blanche, il a confirmé les pires craintes des défenseurs de l’environnement: abandon du plan Climat de son prédécesseur, nomination du climato-négationniste Scott Pruitt à la tête de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), relance de projets d’oléoducs contestés…

Marche non partisane

Mi-mars, l’administration américaine a par ailleurs annoncé une série de coupes budgétaires sans précédent dans le monde de la recherche, touchant aussi bien l’EPA que les très respectés Instituts nationaux de la santé (NIH). Sans parler des restrictions sur les visas temporairement appliqués aux ressortissants de certains pays musulmans, qui ont eu un fort impact dans le secteur de l’innovation.

La science ne relève pas de l’invention, elle se base sur des données impartiales et indépendantes des opinions politiques

Sabine Flury, Marche de Genève

Malgré cet ancrage politique, la Marche pour la science s’affiche comme non partisane – aucune référence à Donald Trump n’apparaît d’ailleurs sur le site Internet officiel du mouvement. «Nous ne voulons pas être perçus comme un groupe de sympathisants démocrates frustrés par le résultat de la présidentielle américaine», souligne James Beacham.

Plutôt que d’insister sur des aspects pratiques comme les coupes budgétaires, les initiateurs du mouvement entendent célébrer le rôle de la science dans la société, et rappeler les fondements de la démarche scientifique, en organisant diverses conférences et ateliers de vulgarisation en marge des rassemblements. «La science ne relève pas de l’invention, elle se base sur des données impartiales et indépendantes des opinions politiques. C’est important de le rappeler alors que de plus en plus de fausses informations circulent sur les réseaux sociaux», relève la chercheuse de l’EPFL Sabine Flury, également co-organisatrice de la Marche de Genève.

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Certains faits sont largement établis, comme l’origine humaine des changements climatiques. Les nier, c’est remettre en cause le principe même d’une poursuite de la vérité.

«Il est clair qu’il existe des zones de flou dans la recherche, et qu’elles sont parfois difficiles à communiquer auprès du grand public. Oui, la science se trompe parfois, car la connaissance s’acquiert progressivement. Mais certains faits sont largement établis, comme l’origine humaine des changements climatiques. Les nier, c’est remettre en cause le principe même d’une poursuite de la vérité. Et quand cela provient du dirigeant d’une des principales puissances mondiales, c’est grave», affirme la rectrice de l’Université de Lausanne Nouria Hernandez, qui appuie le principe de la mobilisation actuelle.

Tout le monde ne marche pas

Si la Marche des sciences bénéficie d’un large soutien – elle a notamment été adoubée par la puissante Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS) – elle ne fait pas pour autant l’unanimité, surtout aux Etats-Unis. Peut-elle vraiment se prétendre apolitique, alors que nombre de ses soutiens sont eux-mêmes politisés? Ne risque-t-elle pas d’accroître davantage le fossé entre une population méfiante et des scientifiques considérés comme élitistes?

«Bien que les thèmes sous-jacents de célébration de la valeur de la science soient bien intentionnés, je pense que la marche est une mauvaise idée. Elle menace de discréditer la nature objective de la recherche scientifique, qui est si cruciale à son identité», écrit ainsi Arthur W. Lambert, un chercheur américain en biomédecine, dans une tribune publiée sur le site STAT.

La question de la mobilisation européenne

La question se pose aussi de la pertinence d’une telle mobilisation en Europe et notamment en Suisse, où la recherche demeure largement respectée. «Elle se justifie d’abord par solidarité avec nos collègues aux Etats-Unis. Et puis nous sommes indirectement touchés par ce qui s’y passe, car la recherche scientifique est très internationale et donc interdépendante. Enfin, nous souhaitons mettre en avant l’exemple de Genève, qui comprend de nombreuses institutions scientifiques prestigieuses», mentionne James Beacham.

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Le physicien s’inquiète par ailleurs des forces anti-sciences et anti-éducation également à l’œuvre en Europe. Certains sujets cristallisent les tensions, comme la vaccination qui est de plus en plus remise en cause notamment en Allemagne, en France ou en Suisse, alors qu’il existe un consensus scientifique sur son bien-fondé.