Les sols, ressource menacée mais cruciale pour la lutte contre le réchauffement
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Changer la manière dont nous utilisons les terres est indispensable pour contenir les changements climatiques, alerte un nouveau rapport du GIEC. Il va notamment falloir revoir notre alimentation

Menacés par les changements climatiques, les sols font aussi partie de la solution. C’est ce qui ressort du nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui porte précisément sur «les changements climatiques, la désertification, la dégradation des terres, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres».
Vaste programme, qui a mobilisé une centaine de scientifiques issus de 52 pays et qui a été synthétisé sous la forme d’un «Résumé à l’intention des décideurs» avalisé du 2 au 8 août à Genève, en présence de représentants des 196 Etats membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Décryptage de ses conclusions en 5 points.
1) Le sol, un acteur clé du climat
Encore relativement méconnu du public, le rôle du sol dans l’équilibre climatique est pourtant primordial. «La terre est à la fois une source et un puits de gaz à effet de serre», indique le rapport. La déforestation liée à l’extension des cultures, mais aussi l’élevage ou encore la fabrication de fertilisants synthétiques sont de gros émetteurs de gaz à effet de serre. «Notre système alimentaire dans son ensemble est responsable d’un quart des émissions liées aux activités humaines et constitue donc un levier important sur lequel il est possible d’agir», indique Edouard Davin, climatologue à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et coauteur du rapport.
D’autant plus que les sols ont, dans certaines conditions, de bonnes capacités à absorber le carbone émis dans l’atmosphère. «La végétation absorbe le CO2 dans l’air pour se nourrir. Quand les plantes meurent, les organismes du sol transforment ce carbone en humus», explique Elena Havlicek, spécialiste de la protection des sols à l’Office fédéral de l’environnement. «Entre 2008 et 2017, les terres ont absorbé près de 30% du total des émissions anthropiques de gaz à effet de serre par le biais de processus biogéophysiques», lit-on dans le rapport.
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2) Une ressource déjà fortement sous pression
Le problème, d’après le GIEC, c’est que l’homme exploite trop intensivement les ressources des sols. Les experts estiment qu’environ un quart des terres libres de glace sont surexploitées. L’agriculture intensive, en particulier, est montrée du doigt. «L’usage de fertilisants minéraux et le labour profond ont en effet entraîné une baisse de la quantité de matière organique dans les sols de l’ordre de 60 à 70% au niveau mondial», souligne Pascal Boivin, professeur d’agronomie à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA). C’est justement dans cette matière organique que se trouve le carbone prélevé dans l’atmosphère par les plantes.
De nombreux sols sont par ailleurs déjà fragilisés par le réchauffement, en raison de la multiplication des sécheresses et des précipitations intenses. «Un réchauffement de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle constituerait une grave menace pour la sécurité alimentaire mondiale», affirme la paléoclimatologue française Valérie Masson-Delmotte, codirectrice d’un des groupes de travail du GIEC. L’Accord de Paris, ratifié fin 2015, prévoit justement de contenir le réchauffement à 2°C, si possible 1,5°C. Mais un précédent rapport thématique du GIEC, publié en octobre 2018, montrait à quel point il serait difficile de respecter ce seuil.
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«Un des éléments les plus inquiétants de ce nouveau rapport concerne la situation des zones arides, dans lesquelles vit près de 40% de la population mondiale, relève Pierre-Marie Aubert, expert de l’Institut français du Développement durable et des relations internationales (IDDRI). Ces régions vont connaître de fortes baisses de rendement agricole et une recrudescence d’événements climatiques extrêmes, alors qu’elles sont déjà globalement peu développées et donc mal armées pour faire face à ces défis. Il y a là un grave enjeu de développement.»
3) La clé: favoriser la qualité des sols
Pour sauvegarder cette précieuse ressource sous nos pieds, le rapport du GIEC promeut le recours à des techniques agricoles respectueuses du sol, qui ont l’avantage non seulement d’accroître la quantité de carbone qui y est stockée mais aussi de favoriser la biodiversité et la sécurité de l’approvisionnement alimentaire. «Plusieurs techniques ont ainsi fait leurs preuves, comme un moindre recours au labour, une meilleure rotation des cultures et une couverture continue des sols pour éviter l’érosion», détaille Edouard Davin.
Les milieux qui stockent naturellement du carbone, comme les forêts anciennes, les mangroves et les tourbières, devraient par ailleurs être protégés, soulignent les experts du GIEC. «Parmi les priorités figurent la protection et la restauration des écosystèmes naturels ainsi que la transformation durable de notre système de production et de consommation alimentaire», estime Stephen Cornelius, spécialiste du climat auprès du WWF.
La bataille se joue aussi dans nos assiettes, qu’il faut «décarboner». Une réduction de la quantité de viande, consommée en excès dans les pays développés, est ainsi mise en avant. «Certains choix alimentaires demandent plus de terre et d’eau que d’autres, et causent davantage d’émissions de gaz à effet de serre, relève Debra Roberts, codirectrice d’un groupe de travail du GIEC. Des régimes équilibrés comportant des éléments végétaux comme des céréales complètes, des légumineuses, fruits et légumes, ainsi que des produits animaux produits de manière durable présentent des opportunités majeures pour limiter les changements climatiques.» De gros efforts peuvent aussi être faits autour du gaspillage alimentaire, un tiers de la quantité de nourriture actuellement produite dans le monde finissant à la poubelle.
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4) Gare aux fausses bonnes idées
Outre cette voie agroécologique, des solutions plus technologiques existent pour accroître la quantité de CO2 stockée au niveau des terres. Exemple, la plantation d’arbres à croissance rapide, capables d’absorber rapidement du CO2, et qui sont à court terme brûlés afin d’en tirer de l’énergie. Les projets dits de bioenergy carbon capture and storage prévoient même de capter le CO2 émis lors de leur combustion et de le cristalliser sous une forme stable, pour éviter des émissions dans l’atmosphère.
Las, ce type de projet apparaît non seulement difficile à mettre en œuvre techniquement, mais pourrait aussi s’avérer dangereux, met en garde le rapport. «A petite échelle, ce type d’approche n’est pas à rejeter, mais son extension sur de vastes surfaces entraînerait des risques pour la sécurité alimentaire, des conflits autour de l’usage de l’eau et une perte de biodiversité», déclare Edouard Davin. Le même type de problèmes pourrait survenir si on envisageait partout des campagnes géantes de reforestation. «Il ne faut pas compter sur les terres pour stocker ou éliminer le CO2 que nous émettons en excès dans l’atmosphère, martèle Valérie Masson-Delmotte. Tous les secteurs doivent contribuer à la lutte contre les changements climatiques.»
5) Et maintenant, l’action
Ce rapport est publié dans une période critique dans la lutte contre les changements climatiques, alors que le mouvement de la jeunesse en faveur du climat, lancé par la jeune Suédoise Greta Thunberg, a accru la pression sur les Etats pour qu’ils prennent des mesures. «Nos conclusions pourront être utilisées dans le cadre du sommet international sur le climat qui se tiendra en septembre à New York», souligne Valérie Masson-Delmotte. La coordination d’ONG Climate Action Network exhorte les Etats, en particulier les plus développés, à s’appuyer sur les résultats scientifiques et à revoir à la hausse leurs promesses de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
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