Les subventions à la pêche accusées de vider les océans
environnement
AbonnéLe secteur de la pêche reçoit l’équivalent de 35 milliards de francs d’aides publiques par an au niveau mondial, ce qui entraîne une surexploitation des stocks de poissons. L’OMC veut mettre fin à ces subsides néfastes avant la fin de l’année

C’est une des cibles figurant parmi les Objectifs de développement durable de l’ONU: d’ici à 2020, les Etats se sont engagés à «interdire certaines formes de subventions à la pêche qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche». Les négociations, qui se tiennent à Genève sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), devraient aboutir à un accord avant la fin de l’année. Scientifiques, économistes et militants de la protection de l’environnement pressent les pays à s’engager, mais les résistances sont fortes.
Chaque année, des quantités faramineuses d’argent public sont allouées à l’industrie de la pêche dans le monde. D’après une analyse récente parue dans la revue Marine Policy, cela correspond à plus de 35 milliards de francs d’aides en 2018. L’étude, qui se base sur la compilation de différentes bases de données publiques et privées, montre qu’ensemble la Chine, l’Union européenne, les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon en distribuent plus de la moitié.
Pêche non durable
La majeure partie de ces subsides a pour effet d’accroître l’intensité de la pêche, en payant tout ou partie du carburant, de l’équipement des bateaux ou des ports, voire des salaires. «Ces subventions permettent aux pêcheurs de voyager plus loin, jusque dans la haute mer, et d’y rester plus longtemps, et donc d’attraper plus de poissons qu’ils ne le feraient sans soutien», explique l’économiste canadien Rashid Sumaila de l’Université de la Colombie-Britannique, l’auteur de l’étude, que Le Temps a rencontré à Genève.
Les subventions devraient aller au développement d’engins de pêche plus sélectifs et de bateaux plus économes en énergie
Or la pêche intensive menace le renouvellement naturel de la ressource. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un tiers des stocks mondiaux de poissons fait l’objet d’une pêche non durable. «Dans certaines zones, le constat est encore bien plus sombre. En Méditerranée par exemple, plus de 90% des stocks de poissons sont surexploités, illustre Philippe Cury, océanographe à l’Institut français de recherche pour le développement (IRD). Il y a actuellement deux à trois fois trop de bateaux sur les mers: il faut absolument réduire l’effort de pêche mondial.»
Une opinion que partagent de nombreuses organisations de protection des océans, comme le WWF ou Bloom, qui militent pour l’abandon de certaines aides allouées à la pêche. «Mettre fin aux subventions nuisibles est probablement la mesure la plus importante que les gouvernements peuvent prendre pour rétablir la santé de l’océan», fait ainsi valoir Isabel Jarrett, de l’organisation américaine The Pew Charitable Trusts.
Pour les experts, l’objectif n’est pas de bannir les subventions, mais de les réorienter. «Les financements destinés à améliorer la gestion des stocks ou à créer des aires marines protégées sont positifs», affirme Rashid Sumaila. «Les subventions devraient aller au développement d’engins de pêche plus sélectifs et de bateaux plus économes en énergie. Il devient urgent de promouvoir une pêche plus douce, car les océans sont fragilisés par les changements climatiques», met en garde Philippe Cury.
La pêche industrielle favorisée
Quel serait l’impact social d’une telle transformation? «Il est toujours difficile de retirer une aide financière, reconnaît Rashid Sumaila. Mais ces subventions ont été créées à une époque où il y avait beaucoup de poissons. Aujourd’hui, les stocks s’effondrent et il faut en tenir compte, sinon nous allons détruire notre capital.» Ce ne sont en tout cas pas les pêcheurs artisanaux qui en souffriraient le plus: d’après l’évaluation parue dans Marine Policy, seuls 16% des subventions globales vont à des petits pêcheurs, le plus gros étant alloué à la pêche industrielle et à ses gigantesques flottes.
Ces dernières années, les subventions à la pêche ont paru se stabiliser, voire décroître dans certaines régions du monde: une précédente analyse, basée sur des chiffres de 2009, avait estimé le montant total de ces aides à quelque 41 milliards de francs au niveau mondial. Mais les sommes demeurent importantes et pourraient repartir à la hausse. Le 15 octobre dernier, les ministres européens de la Pêche ont indiqué leur intention de réintroduire des subventions pour les flottes de pêche, alors qu’elles avaient été interdites en 2004.
Pendant ce temps, les discussions en cours à l’OMC patinent, à la suite du départ cet été de l’ambassadeur mexicain Roberto Zapata Barradas, qui supervisait les négociations. Un peu de répit pour les poissons? Il va sans doute encore falloir attendre…
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