Fonte des glaciers et réduction du manteau neigeux, multiplication des vagues de chaleur et des épisodes de pluies diluviennes, manque d’eau durant l’été, risque accru d’éboulements et de glissements de terrain… En Suisse, les effets du changement climatique se font déjà sentir. Et ils vont encore s’aggraver à l’avenir, de manière plus ou moins marquée, selon les efforts qui seront entrepris pour réduire les émissions globales de gaz à effet de serre.

«Il est urgent que nous prenions davantage de mesures d’adaptation au changement climatique en Suisse», a souligné Veruska Muccione, climatologue à l’Institut de géographie de l’Université de Zurich, en préambule d’une conférence organisée mardi 16 mai à Berne par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), pour marquer la clôture d’un programme pilote consacré à l’adaptation aux changements climatiques.

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Lancé il y a 10 ans, ce programme a débuté par une première phase comprenant une trentaine de projets innovants. En 2018, une nouvelle étape s’est ouverte, fédérant 50 projets supplémentaires, répartis sur l’ensemble du territoire helvétique. «Dix offices fédéraux et environ 500 personnes issues de la recherche et des milieux économiques ont été impliqués dans cette deuxième phase; la thématique a clairement pris de l’ampleur depuis le lancement du programme», estime son responsable, Guirec Gicquel, de l’OFEV.

«Ilots de fraîcheur» et écoles ombragées

La problématique ayant inspiré le plus grand nombre de projets est la lutte contre les fortes chaleurs. Une thématique brûlante, et pour cause: si les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître, les températures estivales pourraient augmenter de 4,4 °C d’ici à 2060, si l’on en croit les scénarios climatiques CH2018. Les habitants des villes sont particulièrement exposés, car l’asphalte et le béton emmagasinent l’énergie thermique, contribuant à la formation d’îlots de chaleur. D’après l’Institut tropical et de santé publique suisse, la chaleur de l’été 2003 a induit le décès d’environ 1000 personnes en Suisse.

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La végétalisation des villes en vue de lutter contre cette surchauffe a fait l’objet de plusieurs projets du programme pilote. A Porrentruy par exemple, des fiches techniques ont été conçues afin de convaincre les acteurs privés d’adapter leurs projets de construction – car bien souvent, les extensions de parkings en sous-sol des immeubles ne laissent pas la place au développement des racines des arbres. Dans le cadre de son initiative «Cool City», Genève a de son côté créé des «îlots de fraîcheur», des lieux où les citadins peuvent venir se rafraîchir en période de canicule. Enfin, le projet «Ça chauffe dans les écoles», mené à Locarno et à Montreux, a montré que les élèves étaient fréquemment soumis à des températures trop élevées en raison d’un ombrage insuffisant des établissements, lié à un manque d’arbres.

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D’autres projets ont porté sur l’amélioration des matériaux utilisés en zone urbaine. Des revêtements routiers clairs et poreux, s’échauffant moins que l’asphalte, ont ainsi été testés à Berne et à Sion. Un autre projet a évalué l’impact climatique de 26 matériaux de construction différents. «Nous avons passé en revue différents critères, allant de la contribution de ces matériaux à la formation d’îlots de chaleur jusqu’à l’acoustique, en passant par l’énergie nécessaire pour les fabriquer. Le matériau parfait n’existe pas, mais nous avons montré que les façades ventilées avec un mur constitué de deux parois en maçonnerie et doté d’une isolation intermédiaire génèrent moins de stress thermique», indique la responsable du projet, Caroline Hoffmann, de la Haute Ecole spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest.

Des réservoirs pour abreuver les cultures

L’adaptation de l’agriculture aux situations de sécheresse estivale, amenées à se multiplier, a aussi fait l’objet de diverses expériences. Alors qu’à long terme des questions épineuses sur le choix des cultures devront être posées, pour l’heure, les expérimentations portent surtout sur l’installation de réservoirs destinés à stocker l’eau quand elle est abondante, pour pouvoir l’utiliser quand elle vient à manquer. «Dans le cadre de notre projet, nous avons montré que cette approche pouvait être pertinente pour les cultures à haute valeur ajoutée comme les fruits, mais a priori pas pour les grandes cultures. Il s’agit par ailleurs d’une solution technique, et pas écologique», souligne Adrian Auckenthaler, hydrogéologue pour le canton de Bâle-Campagne.

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D’autres projets encore ont porté sur la prévention des risques de crues et autres dangers naturels, la lutte contre les insectes et plantes indésirables, la sensibilisation du public ou encore l’adaptation de la viticulture. Les enseignements qui en découlent serviront à définir les mesures d’adaptation les plus indiquées pour la Suisse, fait valoir Guirec Gicquel. «Le programme pilote montre qu’il existe des solutions pour s’adapter aux changements climatiques, mais qu’il faut se saisir du problème, et pas seulement attendre une hypothétique solution qui tomberait du ciel», estime l’expert.