Le tourisme de masse aura-t-il la peau du climat? C’est la question que l’on peut légitimement se poser à la lecture d’une étude publiée mardi dans la revue Nature Climate Change. Selon le groupe australien-indonésien-chinois représenté par Arunima Malik (université de Sydney), le tourisme représentait 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2013, avec des rejets équivalents à 4,5 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (4,5 Gt-CO2eq). Pire, ces émissions ont augmenté de 15% par rapport à 2009, et pourraient atteindre 6,5 Gt-CO2eq en 2025. Une tendance folle que rien ne semble pouvoir arrêter.

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En 2008, un rapport de l’ONU avait estimé ces émissions à 1,3 Gt-CO2eq pour 2005. Mais les auteurs reconnaissaient eux-mêmes qu’ils étaient en deçà de la réalité, faute de données. Car le tourisme n’est pas un secteur à part entière, comme le sont l’industrie ou l’agriculture, par exemple. Evaluer son impact est donc un épouvantable casse-tête: «Il faut reconstituer la part du tourisme dans chacun des secteurs d’activité, explique Ghislain Dubois, chercheur et directeur du cabinet TEC Conseil, à Marseille. Le transport aérien, routier et ferroviaire, bien sûr, mais aussi la restauration et l’hôtellerie, les taxis, les musées, les activités de plein air, etc.»

Le secteur aérien pourrait représenter… 100% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2070

Il s’agit donc d’évaluer l’intensité carbone de chaque contribution, autrement dit, de peser les rejets de gaz à effet de serre associés à chaque franc de dépense d’un touriste local ou international. Cet inventaire ne doit pas se contenter du seul dioxyde de carbone, puisque le tourisme – comme toute activité – génère aussi d’autres gaz à effet de serre, comme le protoxyde d’azote et le méthane liés à l’agriculture, les gaz des appareils de climatisation, etc. «Le tourisme est l’activité dont les émissions augmentent le plus vite à l’échelle mondiale.»

Permis de polluer

Paul Peeters, de l’Université des sciences appliquées de Breda (Pays-Bas), ne dit pas autre chose: «Le secteur aérien pourrait représenter… 100% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2070.» Car la planète s’est engagée, lors de la Conférence de Paris, à réduire ses émissions et même à les rendre négatives à partir de 2060-2070. Un engagement dont le secteur aérien est exonéré, pour des raisons historiques.

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Alors qu’on peut espérer une forte baisse des émissions globales dans la plupart des secteurs d’activité au cours des prochaines décennies, celles du transport aérien devraient continuer de s’envoler. Celui-ci est en effet géré par l’IATA (Association internationale pour le transport aérien), une organisation qui représente les intérêts de 280 compagnies aériennes et n’a guère manifesté d’intérêt pour la question climatique, arc-boutée sur le maintien d’une taxation zéro sur le kérosène. Un accord récent vise à améliorer l’efficacité énergétique du transport aérien… mais il n’engage pour le moment que les compagnies volontaires. «On peut faire tous les efforts qu’on veut pour réduire la consommation des avions. Ils seront gommés par l’augmentation du trafic de 5% par an», avertit Paul Peeters.

Le tourisme est l’activité dont les émissions augmentent le plus vite à l’échelle mondiale

Le grand écart entre les travaux de Nature Climate Change et les autres études ne s’explique que partiellement par une différence de mesure des émissions liées au transport aérien: celui-ci ne représenterait que 12% des émissions du tourisme, contre 40% dans l’étude onusienne. «Nous avons pris en compte l’ensemble des chaînes d’approvisionnement, ce qui n’avait jamais été fait de manière aussi fine, précise Arunima Malik. Nous montrons par exemple que l’agriculture – la production des matières premières alimentaires consommées par les touristes, représente 8% des GES du tourisme. La transformation de ces aliments 5%, les nuitées 6,4%, l’activité minière 3%, etc. Nous espérons que l’ensemble des acteurs du tourisme prendront la mesure du problème, les tour-opérateurs, les transporteurs, les touristes mais aussi les Etats.»

Voyager moins

Arunima Malik cite ainsi les Etats insulaires du Pacifique, très prisés des touristes australiens. «Les autorités se réjouissent du développement du tourisme, car il est souvent la seule ressource. Mais il contribue à la hausse du niveau des océans qui menacera la survie même de ces îles.»

Alors comment faire? «Il y a des pistes, souligne Ghislain Dubois. Par exemple, voyager moins loin, moins souvent et plus longtemps. De plus, si les gens vivaient dans un cadre plus agréable, ils auraient moins le désir de voyager.» «J’ai tout essayé dans mes simulations, répond Paul Peeters. Taxer le kérosène, le CO2, les sièges vides, les tickets des sites touristiques, la compensation du carbone rejeté, l’évolution technologique… Cela n’empêchera pas le tourisme de devenir la première source de réchauffement dans les décennies à venir. Si on veut stabiliser ou faire baisser ses émissions, il n’existe qu’une solution: limiter le nombre de touristes, et donc le nombre d’avions sur la planète…»