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Les paléo-climatologues ont analysé des calottes glaciaires ayant enregistré la composition passée de l’air. En se formant, les glaces emprisonnent en effet des poussières et résidus solides, mais aussi des bulles d’air représentatives de l’atmosphère au moment du dépôt de la neige. Plus on creuse profond dans la glace, plus cet air correspondra à un passé lointain. Une méthode notamment utilisée pour reconstituer les concentrations atmosphériques passées en CO2.
Xénon, krypton et argon
Pour leur étude, les scientifiques ont échantillonné des carottes de glace du continent antarctique. Des cylindres de 15 centimètres ont été prélevés à des profondeurs allant de 150 à 2600 mètres sous la calotte. «Ces blocs de glace renferment des bulles d’air qui nous ont permis d’étudier les 24 000 dernières années, soit la période marquant la fin de la dernière ère glaciaire et la transition vers notre ère interglaciaire», relate Bernhard Bereiter, auteur de l’étude et chercheur à l’Université de Berne.
Bien qu’indirecte, cette mesure de la température moyenne des océans est d’une précision sans précédent
Martin Beniston, professeur honoraire en climatologie à l’Université de Genève
Le chercheur s’est concentré sur des gaz rares comme le xénon, le krypton ou encore l’argon. Présents dans l’atmosphère et dans l’océan, ces derniers sont très réactifs aux changements de température, qui modifient leur capacité à se dissoudre dans l’élément liquide. Lorsqu’une eau se réchauffe, la solubilité des gaz diminue, ils sont alors libérés dans l’atmosphère. Ces gaz possédant des caractéristiques différentes, ils ne sont pas rejetés dans l’atmosphère de la même manière.
En comparant le ratio d’un gaz rare à un autre dans les bulles d’air, il est possible de déduire la température globale des océans, soit dans toute la masse d’eau jusqu’au fond de la mer. «Bien qu’indirecte, cette mesure de la température moyenne des océans est d’une précision sans précédent. De plus, elle est en continu dans le temps sur des millénaires! Nous ne possédions jusqu’ici que des données fragmentaires», commente Martin Beniston, professeur honoraire en climatologie à l’Université de Genève.
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Les résultats montrent un réchauffement global des eaux mondiales de 2,6°C sur une période de 10 000 ans. Ce qui n’est pas surprenant, étant donné que le laps de temps étudié correspond à une phase de réchauffement naturel du climat. Les chercheurs ont en revanche été étonnés de constater le rôle prédominant joué par l’hémisphère Sud dans le climat mondial. En effet, les températures moyennes des océans observées par les chercheurs sont fortement corrélées aux températures de l’air en Antarctique.
Changement dans la circulation océanique
«Nous avons par ailleurs identifié une période relativement courte – de 700 ans – durant laquelle l’océan mondial s’est réchauffé plus rapidement que ce que nous estimons être le cas de nos jours», poursuit Bernhard Bereiter. Un résultat étonnant car les émissions de gaz à effet de serre ne pouvaient alors en être la cause. «Pour l’instant, aucun facteur externe ne permet d’expliquer cet événement, mais il a certainement été causé par de grands changements de la circulation océanique mondiale», conclut le scientifique.
Une telle observation remet-elle en cause notre rôle dans le dérèglement climatique actuel? «Bien au contraire, cette étude nous confirme que ce n’est pas tant l’amplitude de la hausse des températures qui est déterminante, mais bien la vitesse de cette augmentation. Le réchauffement observé actuellement, en raison des activités humaines, est extrêmement risqué pour notre planète», commente Martine Rebetez, professeure de climatologie à l’Université de Neuchâtel et à l’Institut fédéral de recherches WSL. Un avis largement partagé par l'auteur de l'étude. Qui rappelle l’importance de contenir la hausse des températures terrestres en deçà de 2°C d’ici la fin du siècle, comme décidé dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat.
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