Cela serait presque une bonne nouvelle. L’Agence spatiale européenne (ESA) a annoncé, le 2 avril, être prête pour la prochaine manœuvre de la mission Bepi-Colombo. En route pour Mercure, la sonde européano-japonaise doit survoler la Terre le 10 avril. En profitant de l’attraction gravitationnelle de notre planète qui crée un effet de fronde, elle ralentira et infléchira sa course avant de reprendre de la vitesse et de commencer sa progression vers les régions centrales du Système solaire. Du moins, si tout se déroule sans incident, ce que les ingénieurs du Centre européen des opérations spatiales (ESOC) basé à Darmstadt (Allemagne) se chargeront de garantir en envoyant quotidiennement, durant deux semaines, des instructions au vaisseau.

Lire aussi:  Deux sondes à l’assaut de Mercure

En temps normal, une telle information passerait probablement inaperçue. Mais dans le contexte de pandémie actuelle, elle apporte un réel soulagement: quelques jours auparavant, le 24 mars, la direction de l’ESA avait, à la suite de la découverte d’un cas de coronavirus, ordonné une réduction du personnel présent sur le site de l’ESOC et décidé, avant de lever plus tard cette restriction, un arrêt des instruments scientifiques de quatre de ses missions spatiales, parmi lesquelles Solar Orbiter, une sonde dédiée aux mystères du Soleil qui avait été lancée en février.

Lire aussi:  Solar Orbiter et ses multiples regards sur le Soleil

La science n’échappe pas, elle non plus, aux complications du confinement. Tenus comme les autres citoyens de respecter des règles de distanciation, les chercheurs ont dû abandonner becs Bunsen et cultures biologiques pour aller travailler à domicile. Certes, tous les laboratoires n’ont pas été désertés. Notamment, parce que certains se sont investis dans la lutte contre le coronavirus. C’est le cas de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) qui, après avoir dès le 16 mars interdit l’accès au campus à ses 11 000 étudiants et 4000 employés, a fini par autoriser une partie de ses équipes à revenir au bureau. «Soit quelques centaines de personnes tout au plus, explique Andreas Mortensen, vice-président chargé de la recherche de l’EPFL. Et encore, beaucoup d’entre elles étaient des techniciens chargés de l’entretien des machines ou des agents de sécurité.»

L’arrivée du coronavirus s’est le plus souvent traduite par un ralentissement, voire un arrêt des activités de laboratoire

Ailleurs, particulièrement dans les zones les plus touchées par la pandémie, une activité a été maintenue en vue de soutenir les services sanitaires débordés. En France, nombre d’organismes scientifiques ont, dès le début de la crise, recensé et collecté au profit des hôpitaux masques, boîtes de gants et pièces d’équipement (blouses, sur-chausses…). Et en Suisse, le Service de secours et du feu (SSF) du CERN prête, depuis le 21 mars, main-forte aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) en transportant des patients atteints de Covid-19 à bord de ses ambulances.

Des situations inédites aux Etats-Unis

Mais, ces initiatives mises à part, l’arrivée du coronavirus s’est le plus souvent traduite sinon par une mise en sommeil du moins par un ralentissement des activités de laboratoire, créant dans certaines disciplines comme les sciences physiques des situations absolument inédites. Outre-Atlantique, la totalité des 17 laboratoires nationaux du réseau du Département de l’énergie (DOE) seraient passés en mode de communication à distance, ce qui aurait, selon la revue Nature, provoqué l’arrêt de plusieurs grosses et coûteuses expériences. Le Brookhaven National Laboratory, spécialisé dans la physique nucléaire, le Lawrence Livermore National Laboratory qui développe, pour le compte de la Défense, le NIF, laser le plus énergétique de la planète, ainsi que toutes les autres institutions mondialement connues des Etats-Unis ont mis une grande partie de leur personnel au télétravail et limité, voire interdit l’accès des visiteurs à leurs sites.

La NASA a, elle aussi, été affectée. L’agence spatiale américaine a annoncé, le 19 mars, le passage de l’ensemble de ses centres «au niveau 3» de confinement qui implique une réduction des activités aux opérations essentielles. Conséquence immédiate de cette décision: «La production du lanceur lourd SLS et celle de la capsule Orion ont été suspendues, ce qui pourrait remettre en cause Artemis, le programme américain controversé d’envoi d’un équipage sur le sol lunaire en 2024», signale Francis Rocard du Centre national français d’études spatiales (CNES).

En revanche Mars 2020, qui avait déjà été transféré au Centre spatial Kennedy, devrait voir son calendrier maintenu. Cette sonde spatiale chargée de déposer un rover sur Mars en février 2021 doit absolument décoller en juillet sous peine de rater la fenêtre de lancement vers la planète rouge ouverte tous les 26 mois. Moins chanceux, le télescope spatial James Webb, qui était en phase finale d’assemblage et de tests en Californie lorsque le gouverneur de cet Etat a imposé un confinement, accusera probablement un énième retard. Ce successeur de Hubble devait être lancé en mars 2021 depuis le Centre spatial guyanais de Kourou (France) qui fonctionne, lui aussi, au minimum.

Du CERN à ITER, les instruments mondiaux suspendent leur souffle

Conférences annulées, expériences stoppées, campagnes reportées, la situation est un peu près la même en Europe où, pour n’évoquer que les seules sciences physiques, du synchrotron européen ESRF à Grenoble (France) à la source à neutrons ISIS dans l’Oxfordshire (Royaume-Uni), de nombreux grands équipements ont été mis à l’arrêt partiel ou total. L’Institut Paul Scherrer (PSI) en Suisse dont les installations continuent à fonctionner à effectif réduit pour des recherches sur le coronavirus et le traitement par protonthérapie de patients atteints de cancer figure parmi les exceptions.

Les grands programmes internationaux n’ont pas été plus épargnés. Si à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône (France), la construction de l’installation ITER dédiée à la recherche sur la production d’énergie par fusion thermonucléaire se poursuit malgré une réduction de près des deux tiers du personnel présent sur le chantier, ailleurs les interventions sur site ont souvent été limitées aux opérations de sauvegarde ou de sécurité.

C’est le cas au CERN où la plupart des physiciens ont été invités à rester chez eux. L’accélérateur LHC étant actuellement en phase d’arrêt programmé, cette mesure n’a eu, pour l’instant, qu’un impact limité sur les travaux de recherche. «D’autant que dans le domaine de la physique des particules, le nombre important de collaborateurs attachés à chaque projet nécessite, depuis longtemps, de recourir à des systèmes de visioconférence pour communiquer», rappelle Andreas Hoecker, physicien au CERN et responsable adjoint d’ATLAS, une expérience qui réunit 3000 chercheurs issus de 240 instituts dans le monde. Dépouillement des données, calculs et même séminaires, tout ou presque pourrait être fait en ligne et depuis chez soi. A ceci près que cette période de mise en panne des machines devait être consacrée à des améliorations à apporter sur l’accélérateur et sur les détecteurs, lesquels sont désormais inaccessibles. Cela pourrait finir par bousculer le calendrier. Le LHC doit redémarrer en mai 2021.

Télescopes aveugles

L’astronomie est, elle aussi, touchée, l’ESO (Observatoire européen austral) ayant décidé, le 20 mars, d’arrêter ses opérations scientifiques sur l’ensemble de ses observatoires chiliens, qu’il s’agisse de celui du mont Paranal où est installé le Very Large Telescope (VLT), celui de La Silla où opère le spectrographe chasseur d’exoplanètes Harps, ou encore APEX, le site d’observation le plus élevé du monde à 5100 mètres.

Non loin de là, dans le désert d’Atacama, l’interféromètre géant Alma, dont l’ESO est partenaire, a également été fermé. Cela a entraîné l’annulation ou le report de multiples observations dont celles du Event Horizon Telescope. Ce réseau mondial de radiotélescopes avait réussi l’année dernière à produire la toute première image d’un trou noir. Il devait tenter de réitérer cet exploit au début du mois d’avril. «Mais trop d’observatoires ayant déclaré forfait, la campagne a dû être annulée», explique-t-on à l’Institut de radioastronomie millimétrique de Grenoble dont l’instrument Noema du plateau de Bure et le télescope de 30 mètres de la Sierra Nevada (Espagne) étaient impliqués dans le projet.

L’interféromètre européen Virgo aura tenu plus longtemps. Cet impressionnant équipement de 3 kilomètres de long dédié à la détection des ondes gravitationnelles produites par des fusions de trous noirs ou d’étoiles à neutrons a réussi à fonctionner durant deux semaines sur un mode de quasi-pilotage à distance. Mais, installé près de la ville de Pise, dans une Italie martyrisée par le SARS-CoV-2, il a, lui aussi, finalement dû renoncer, son personnel d’astreinte étant de moins en moins disponible du fait du confinement et sa direction craignant de ne pouvoir effectuer les réparations nécessaires en cas d’accident. Comme son homologue américain Ligo, mais à la différence de Kagra, encore en préparation au Japon, il a fermé ses portes le 27 mars. Soit, précise Benoît Mours, physicien CNRS à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien à Strasbourg, «un mois avant la fin de sa campagne de mesures de un an».

Les navires amarrés

Enfin, les sciences polaires et océaniques connaissent également de graves perturbations. Les premières non pas tant en raison des bases antarctiques dont les opérations de recherche sont terminées depuis le mois de février et la fin de l’été austral, qu’en raison de l’impossibilité de gagner le Groenland et le Svalbard à cause des restrictions d’accès à ces territoires décidées par les gouvernements danois et norvégien. A l’Institut français Paul-Emile Victor (IPEV), on s’inquiète aussi des répercussions de la crise actuelle sur le recrutement des hivernants de l’année 2020-2021, lequel nécessite des entretiens d’évaluation psychologique en vis-à-vis.

L’ensemble de la flotte océanique mondiale a été rapatriée. En effet, quelques bâtiments japonais et norvégiens exceptés, tous les navires ont reçu l’ordre de rejoindre leurs ports d’attache pour y être désarmés. Du jamais vu de mémoire de marin! Aucun cas de Covid-19 n’ayant été repéré au sein des équipages, le problème urgent à régler dans cette discipline est celui des campagnes qui avaient été programmées pour l’année à venir. Certaines pourraient-elles être maintenues? Mais, dans ce cas, quelles mesures sanitaires adopter pour garantir la sécurité du personnel au moment des escales? Comment organiser le transport des scientifiques jusqu’à leur port d’embarquement? Ces derniers devront-ils à l’instar des cosmonautes de la Station spatiale internationale (ISS) se soumettre à des quarantaines? «Il est certain que des projets vont devoir être suspendus et que l’agenda sera modifié», indique François Houllier, le PDG de l’Ifremer, l’organisme chargé d’opérer la flotte océanique française. Ce dernier estime que le retour à la normale se fera progressivement en commençant par la remise en activité des navires côtiers plutôt que par celle des navires hauturiers. Mais, il n’exclut pas que d’ici là des campagnes d’appui aux politiques publiques soient autorisées. En France, cela concerne la surveillance d’un volcan sous-marin apparu au large de l’île de Mayotte et l’évaluation annuelle des stocks de poisson. De quoi occuper les scientifiques jusqu’à la fin du confinement.