Claude Nicollier: «Un nouvel astronaute suisse, c’est un plus indéniable pour notre pays»
Claude Nicollier a été le premier suisse envoyé dans l’espace en 1992. Le médecin suisse Marco Sieber lui succède comme astronaute de l’Agence spatiale européenne, près d’un demi-siècle plus tard

La Suisse n’avait pas eu d’astronautes sous son drapeau au sein de l’Agence spatiale européenne (ESA) depuis presque un demi-siècle. Marco Sieber, 33 ans, succède à Claude Nicollier, le premier suisse envoyé dans l’espace, recruté en 1978 par l’ESA. A cette époque, l’astronaute avait été entraîné à Houston par la NASA pour partir en mission dans la navette spatiale américaine.
Lire aussi: Un Suisse rejoint l’équipe d’astronautes de l’Agence spatiale européenne
A cause de l’accident de Challenger, Claude Nicollier a dû attendre 1992 pour s’envoler dans l’espace à bord de la navette Atlantis. Il a effectué en tout quatre vols dont une intervention de réparation et de maintenance sur le télescope spatial Hubble. Claude Nicollier a quitté l’ESA en 2007 et depuis, il est professeur à l’EPFL où il enseigne l’ingénierie spatiale.
Le Temps: Comment réagissez-vous à l’annonce de la sélection du nouvel astronaute suisse?
C’est une très bonne nouvelle. Les activités spatiales de la Suisse se portent bien même si c’est à relativement petite échelle par rapport à la France, l’Italie et l’Allemagne. La Suisse occupe des niches d’expertise qui sont extrêmement importantes. Et avoir un astronaute est, sans aucun doute, un élément positif pour dynamiser davantage ces activités. La poursuite de programmes d’exploration de l’espace que ce soit par des moyens robotiques ou humains est un domaine qui est généralement populaire auprès du public, et aussi auprès des étudiants parce que cela donne lieu à des travaux de master, de doctorat, et de recherche qui sont extrêmement stimulants et intéressants. Pour l’avoir vécu, c’est un plus indéniable pour notre pays.
Ce choix est-il politique selon vous?
Oui, c’est un choix politique avec plusieurs facteurs pris en compte. Il y a eu une vingtaine de finalistes qui toutes et tous ont les qualifications pour devenir astronautes, et parmi eux cinq ont été retenus pour intégrer l’ESA. La décision finale revient au directeur général de l’ESA sur lequel font pression les délégations des pays membres, notamment des grands pays comme l’Allemagne, la France et l’Italie. La France tout particulièrement, j’imagine, a exercé une forte pression sur l’ESA parce qu’il y avait un seul astronaute français dans la classe 2009, alors qu’il y avait deux Allemands et deux Italiens. L’ESA cherche aussi à apporter plus de diversité, avec plus de femmes et de représentants de petits pays.
Est-ce un bon moment pour être astronaute à l’ESA?
Il n’y a jamais de mauvais moments! [Rires] Et oui, je pense que c’est une période particulièrement excitante parce que la Lune est de retour. Déjà actuellement, l’ESA est présente autour de la Lune avec le véhicule Orion de la NASA dont le module de service – une composante importante car il s’agit de tout le système de propulsion et d’alimentation électrique – a été fourni par les Européens. Il y aura certainement de la part de l’agence américaine une reconnaissance très forte de l’Europe pour sa contribution au programme Artemis, qui est lui-même une préparation pour les missions habitées vers Mars.
Est-ce que les enjeux géopolitiques internationaux pour l’espace ont changé depuis 1978?
A l’époque de mon recrutement, dans les années 1980-1990, les collaborations entre les Etats-Unis et la Russie n’existaient pas et il n’y avait pas non plus la Station spatiale internationale (ISS) telle que nous la connaissons aujourd’hui, un partenariat global entre cinq agences spatiales. Je suis passé à côté de cette grande aventure commune qui a mené à l’ISS et j’ai toujours vu cela d’un œil favorable, des nations qui se mettent ensemble pour travailler dans l’espace. Mais cela va sûrement changer dans les années à venir. Le partenariat de l’ISS va s’arrêter à la fin de cette décennie et je ne pense pas qu’il y en aura un autre, en tout cas pas tout de suite. Les Américains semblent faire le choix de laisser les stations spatiales sur orbite basse aux privés, comme Axiom et Blue Origin, pour se concentrer sur la Lune et Mars. L’Europe risque de se retrouver tout à coup un peu isolée. L’ESA souhaite avoir les moyens d’envoyer ses propres astronautes dans l’espace, et l’agence essaiera peut-être – ça va coûter cher – d’avoir sa propre station spatiale en orbite basse. Cette fragmentation est un peu dommage, car on perd le projet commun avec les autres nations.
Lire aussi: Les trois conseils de Thomas Pesquet à la nouvelle promotion d’astronautes
Avoir un astronaute suisse sur la Lune, ce serait excitant?
Oui, fabuleux! Ce serait magnifique. Le programme d’exploration de la Lune était très présent pendant le programme Apollo, et mené de manière inouïe et fantastique dans les années 1960-1970. C’est grâce au succès d’Apollo qu’on peut lancer maintenant les nouvelles missions d’Artemis vers la Lune et qu’on pense à Mars. Je suis très optimiste.
Avez-vous un conseil à donner au nouvel astronaute?
Lors du processus de sélection, j’ai été contacté par plusieurs candidats suisses et j’ai certainement eu l’occasion de déjà parler avec lui. Je donne toujours des conseils relatifs à la manière de travailler pour atteindre son objectif, de se préparer minutieusement, d’être rigoureux et ferme. On peut rêver de temps en temps, mais pas trop. Etre astronaute à l’ESA est une activité à grande responsabilité, qui coûte très cher. Il faut prendre cette responsabilité sur les épaules, l’assumer, faire son travail correctement. Et toujours regarder cette étoile à l’horizon, la passion, pour l’entretenir – ce qui n’est pas difficile étant donné que c’est un domaine fascinant.
Vous en êtes la preuve, être astronaute, c’est une vocation à vie.
Oui, absolument. Il faut pouvoir le porter, c’est une vie sous pression, sans aucun doute, en tout cas pendant les périodes de préparation des missions, pendant les missions elles-mêmes et les périodes de débriefing. Les astronautes européens font entre une ou deux missions de six mois, alors s’ils restent trente ans à l’agence, cela laisse beaucoup de temps. Un temps bien rempli, par beaucoup de relations publiques, des déplacements pour motiver des jeunes, parler dans des écoles, dans des universités, visiter des industries et motiver des équipes industrielles. Finalement, la période passée dans l’espace est faible dans la vie d’un astronaute.