Qu’elles soient techniciennes ou ingénieures, pilotes ou astronautes, secrétaires ou directrices, les femmes ont toujours joué un rôle dans l’exploration de l’espace. Minoritaires, absentes de la scène médiatique, oubliées par les livres d’histoire, mais aussi parfois écartées de certaines missions ou publications scientifiques, elles étaient cependant peu visibles. Elles occupent désormais une place plus importante au sein de la communauté spatiale.

«Même si la proportion de femmes varie selon la branche d’activité, nous restons peu nombreuses», observe Laurène Delsupexhe, ingénieure aérospatiale qui a notamment travaillé à l’Agence spatiale européenne (ESA) sur le lanceur Vega, puis sur le moteur AVUM, soit le dernier étage de ce lanceur, chez ArianeSpace. Ainsi, seuls 11,5% des astronautes sont des femmes. «Sur les 543 personnes qui sont allées dans l’espace depuis les années 1960, là encore seulement 10% sont des femmes. C’est ce qui explique en partie pourquoi nous entendons moins parler d’elles», complète-t-elle.

Les trous noirs de l’histoire

Historiquement, certaines femmes ont pourtant permis des avancées spectaculaires ou établi des records. Parmi elles, Valentina Terechkova, première Soviétique dans l’espace en 1963 et toujours la seule femme à avoir accompli un vol en solitaire; Sally Ride, première Américaine dans l’espace en 1983; Svetlana Savitskaïa, première femme à réaliser une sortie extravéhiculaire en 1984; et Claudie Haigneré, première Française et Européenne en 1996.

«Il y a également une série de femmes brillantes dans ce milieu aujourd’hui», poursuit Laurène Delsupexhe. Parmi ses favorites: Peggy Whitson, première et seule commandante de la station spatiale internationale (ISS), Samantha Cristoforetti, actuelle astronaute de l’ESA et ancienne pilote de chasse italienne, ou encore Marillyn Hewson, directrice générale depuis 2013 de Lockheed Martin, géant américain de l’aérospatial.

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La volonté d’atteindre la parité se retrouve aujourd’hui au sein même des agences spatiales et des entreprises du secteur. Ainsi, la classe d’astronautes 2020 de la NASA est composée à part égale de femmes et d’hommes. L’ESA poursuit le même objectif pour sa nouvelle classe qui sera constituée cette année et l’agence russe Roscosmos est en train d’entraîner une équipe 100% féminine pour le prochain vol sur la Lune prévu en 2029.

Mais pour atteindre l’égalité, des changements de mentalité sont encore nécessaires. Instinctivement, les noms qui sortent lorsque le domaine spatial est abordé restent ceux de Neil Armstrong, Buzz Aldrin, ou encore Thomas Pesquet. «Nous progressons à petits pas, mais de manière constante. S’il y a aujourd’hui plus de femmes dans le secteur et dans les classes des grandes écoles, c’est le fruit d’un travail de longue haleine amorcé par nos arrière-grands-mères et grands-mères, et qui devra être poursuivi par nos petites filles», positive Laurène Delsupexhe.

Elle-même a formé l'un des premiers équipages entièrement féminins sélectionnés par l’association Mars Society pour préparer au mieux la future exploration de la planète rouge. Ces astronautes se rendront en octobre prochain sur la base de la Mars Desert Research Station (MDRS), dans le désert de l’Utah, pour simuler une mission d’exploration spatiale pendant deux semaines.

Oser postuler

Cet équipage a également donné son nom, Womars, à une association qui sensibilise le grand public sur le rôle des femmes dans l’exploration spatiale et informe les jeunes sur le large spectre de métiers impliqués. «En Europe et aux Etats-Unis, l’orientation professionnelle est encore très genrée, regrette Laurène Delsupexhe. L’ingénierie, par exemple, reste perçue comme un domaine masculin.» Selon les régions du monde, la tendance est inversée: un rapport de l’Unesco publié en février 2021 souligne que les plus fortes représentations de femmes ingénieures se trouvent dans les Etats arabes.

L’ingénieure aérospatiale confie avoir eu peu de camarades, enseignantes ou collègues féminines. «J’ai eu droit à quelques remarques sexistes et eu davantage à prouver mes compétences. Désormais, cela fait neuf ans que je suis dans ce secteur. Mes connaissances et expériences me permettent d’avoir confiance en moi.» C’est pourquoi elle encourage toutes les intéressées à postuler auprès de l’ESA pour intégrer la prochaine classe d’astronautes, car les femmes demeurent peu nombreuses à le faire. «Le nombre de femmes astronautes est le reflet des candidatures.»

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Laurène Delsupexhe s’étonne qu’au cours de ses études, il y ait eu très peu de références aux grandes figures féminines. «Les femmes sont absentes des enseignements. Je n’ai jamais eu de cours dans lequel Mercury 13 – les 13 femmes pilotes sélectionnées par un médecin aérospatial de la NASA, le docteur Lovelace, dans les années 1960 et qui auraient pu devenir les premières astronautes de l’histoire si elles avaient été d’un autre genre – ou Margaret Hamilton – qui a été responsable de l’Apollo Guidance Computer – ont été mentionnées. Ce sont mes propres recherches, mon envie de creuser, qui m’ont poussée à découvrir leur existence.»

L’univers majoritairement masculin du domaine spatial engendre des formes de sexisme parfois surprenantes. Ainsi, si le fait de quitter le foyer plusieurs semaines ou mois a longuement été pointé du doigt, en 1978 les ingénieurs de la NASA ont cru bon de créer une trousse de maquillage pour l’astronaute Sally Ride et de lui fournir 100 tampons pour une mission d'une semaine. Le dernier exemple en date reste l’annulation de la sortie dans l’espace de deux femmes, en raison de l’absence de combinaison à leur taille.

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