Le moment des repas est donc vécu comme une pause bienvenue, un moyen de s’aérer un peu l’esprit, même si la nourriture à bord n’est pas très goûtue. «Nous n’allons pas dans l’espace pour bien manger, ironise l’astronaute allemand Matthias Maurer. Dans l’ISS, à cause de la microgravité, tout s’envole. Donc pour éviter que les grains de riz flottent partout, la consistance de la nourriture doit être un peu collante. Pas de pizza ou de pain croustillant dans l’espace par exemple, car tout ce qui peut provoquer des miettes pourrait aller à l’intérieur de notre installation technique, dans les bronches ou dans les yeux, ce qui est risqué.»
Les astronautes doivent donc se limiter le plus souvent à des plats thermostabilisés ou déshydratés, en boîte ou dans des pochettes auxquelles ils rajoutent la juste quantité d’eau. Viande, poisson, légumes, féculents, desserts aux fruits… La NASA fournit la majorité des mets et des en-cas pour les équipages américains et européens, soit plus de 200 articles différents parmi lesquels se trouvent aussi des produits du commerce comme des barres de céréales, des boîtes de thon ou des fruits secs. Les cosmonautes russes apportent leur propre nourriture, généralement sous forme de petites boîtes de conserve.
«La nourriture quotidienne est choisie pour éviter des problèmes de santé. Par exemple, il ne peut pas y avoir trop de sel car cela augmente les risques de calculs rénaux. Du coup, beaucoup la trouvent assez fade et ajoutent beaucoup de sauces et de condiments», explique Matthias Maurer. Les calculs rénaux sont une hantise pour les médecins au sol car cette pathologie est difficile à traiter dans l’espace, et signifie donc un retour rapide sur Terre de l’astronaute concerné mais aussi de tous ses coéquipiers.
Un menu spécial au choix
Le goût lui-même change un peu dans l’espace, même s’il y a des différences ressenties entre les astronautes. La raison: plus d’un tiers du sang et du liquide des membres inférieurs montent dans le haut du corps, ce qui donne un visage gonflé. «Quand ma famille m’a vu, tous ont pensé que j’avais pris du poids, raconte Matthias Maurer. Mais en fait non, j’étais gonflé par ce fluide. Mon nez était congestionné, comme quand je suis enrhumé. Donc j’avais très peu de goût. En plus, il n’y a pas de convection de l’air chaud dans l’espace, donc les odeurs des plats comme la soupe ne montent pas jusqu’au nez.» «Moi je n’ai jamais trouvé que le goût diminuait ou changeait, rapporte Thomas Pesquet. C’est juste que les produits sont à zéro en sodium, donc forcément ça n’a pas beaucoup de goût.»
L’Agence spatiale européenne (ESA) propose à ses astronautes d’emporter avec eux un menu spécial (avec une entrée, un plat et un dessert) qu’ils peuvent choisir et qui leur fait plaisir. Elaborés le plus souvent avec des chefs des pays d’origine, ces petits plats maison constituent 20% de la nourriture consommée par les astronautes européens. Thomas Pesquet dit avoir beaucoup milité auprès de l’ESA pour qu’un minimum de contraintes soient imposées sur ces menus. «C’est le seul élément que l’on peut choisir dans la station. Une fois de temps en temps, il faut pouvoir se faire plaisir, c’est peut-être mon côté français, mais je trouve cela important pour la tête.»
«Ces plats «bonus» participent au soutien psychologique, explique Sonja Brungs, ingénieure chargée du soutien de l’équipage à l’ESA. Se faire plaisir en mangeant, partager un repas, c’est important en condition d’isolement, tout comme la diversité des aliments. Les astronautes sont très contents, ils choisissent leurs plats préférés ou quelque chose qui leur rappelle la maison.» Au menu du Français, un risotto à l’épeautre, du bœuf bourguignon et des crêpes Suzette. Par contre, sans Grand Marnier. «L’alcool est interdit dans la station, rappelle l’ingénieure de l’ESA, même cuit et évaporé car il n’est pas compatible avec le système de recyclage de l’eau.»
Des vœux pour Noël
L’Allemand Matthias Maurer, lui, a fait appel à un chef de sa région, la Sarre, et a lancé un concours avec ses concitoyens pour choisir les plats. Il a pu découvrir une soupe de pommes de terre à la crème, un ragoût de chasse avec des spaetzle et du pain perdu. «C’était une surprise, avec de bons plats de chez moi, se rappelle l’astronaute. Le jour de la Saint-Nicolas, j’ai invité tous mes collègues à les goûter. J’ai expliqué qui l’avait choisi et aussi que ma région était industrielle, avec une population plutôt pauvre et une cuisine faite d’ingrédients simples mais bons. La nourriture aide à apprendre à se connaître et à former une équipe.»
L’astronaute italienne Samantha Cristoforetti s’est composé un menu plus original: couscous de légumes, barres de céréales à la farine de criquets, salade d’épeautre au thon et riz aux crevettes et aux asperges. Mais tous ces aliments, qu’ils soient de la NASA ou préparés par des chefs, arrivent secs et sont consommés après réhydratation. Pas de produits frais ni de texture ferme. «Pour Noël, une capsule est arrivée avec du matériel scientifique mais aussi de la nourriture, se remémore Matthias Maurer. Nous avions demandé à la NASA de nous envoyer deux mangues, deux bananes, quelques pommes, c’était la fête pour nous.»