«Les scientifiques ont une autre définition de l’espace, moins géocentrée, affirme Stéphane Paltani, chercheur en astrophysique à l’Université de Genève. Nous parlons davantage de l’Univers, dont nous faisons partie, sans limitation entre la Terre et le reste.»
Les observations cosmologiques montrent que l’Univers est homogène à l’échelle globale; si l’on prend suffisamment de recul, jusqu’à voir 100 millions de galaxies, la matière y est répartie à peu près de manière égale. Ce qui permet de résoudre les équations d’Einstein et de conclure que l’Univers est en expansion. «Il faut imaginer que nous vivons à la surface d’un ballon de baudruche, en train d’être gonflé dans rien. Aucun ensemble de nombres ne permet de décrire un point en dehors de notre Univers (la surface du ballon), explique l’astrophysicien. Et on ne sait pas si, comme sur la Terre, où en allant tout droit on revient un jour à la même place, ou si on peut s’éloigner à l’infini».
Reste un des grands embarras des scientifiques: le contenu de l’Univers. Le comportement des galaxies laisse penser qu’il existe une matière invisible, qui n’interagit pas avec la lumière mais qui impose un effet gravitationnel. Cette matière dite «noire» constituerait 25% de l’Univers alors que la matière ordinaire, telle qu’on la connaît, seulement 5%. Les 70% restants correspondraient à de l’énergie noire, encore plus mystérieuse. «Depuis la découverte de la matière noire il y a près de 90 ans, nous n’en savons pas beaucoup plus, car aucun scientifique ni instrument n’ont réussi à en observer directement ou à en créer», ajoute Stéphane Paltani.
Y a-t-il de la vie ailleurs que sur Terre?
«Beaucoup de collègues et moi-même sommes persuadés qu’il y a ou qu’il y a eu de la vie ailleurs, confie Stéphane Paltani. Et même probablement de la vie intelligente, qui se pose les mêmes questions que nous. Avec 100 milliards de galaxies, il n’y a aucune raison que la Terre soit la seule planète à abriter des êtres vivants. Mais ce n’est pas sûr que ces formes de vie coexistent au même moment et encore moins qu’elles soient capables de se découvrir mutuellement. Il y a sûrement des formes de vie assez simple ailleurs.»
Au moment où vous lisez ces lignes, il y a sur Mars plusieurs petits robots, en activité ou définitivement hors service, dont la mission est de trouver des traces de vie ancienne. La proche voisine de la Terre aurait pu abriter de la vie lorsque des océans recouvraient encore sa surface. Les scientifiques sont toujours à la recherche de ces preuves qui permettraient de répondre à cette question. De même, les lunes de la géante Jupiter vont être les cibles prochainement de deux missions – l’européenne Juice et l’américaine Europa Clipper. Les sondes seront chargées de survoler les satellites de Jupiter afin d’étudier les océans qui se cachent sous les couches de glace qui les recouvrent. Peut-être y trouvera-t-on des traces d’une vie extraterrestre…
Depuis quand les humains s’intéressent-ils à l’espace?
Depuis au moins des milliers d’années! Chez les civilisations les plus anciennes, en Asie, au Moyen-Orient, en Europe ou encore aux Amériques, les archéologues trouvent des signes d’une connaissance avancée des cycles solaires et lunaires, avec parfois la capacité de prédire les éclipses. Certains voient dans l’ensemble mégalithique de Stonehenge, un monument dédié au suivi des astres dans le ciel, notamment au solstice d’hiver. A l’époque, pas de pollution lumineuse, l’œil nu suffit pour tracer les contours des constellations. Puis vinrent les premières longues-vues.
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A la fin du XVIIIe siècle, l’astronome français Charles Messier publie son célèbre catalogue d’objets du ciel profond, dressant pour la première fois une liste de 110 galaxies, nébuleuses et autres amas stellaires. «Il a fallu attendre le début du XXe siècle, marqué par l’arrivée des premiers grands télescopes, et les travaux d’Edwin Hubble et Georges Lemaître, découvreurs des galaxies, pour se rendre compte que ces objets se situaient beaucoup plus loin que les étoiles visibles appartenant à la Voie Lactée», raconte Stéphane Paltani.
Comment étudie-t-on l’espace?
Etudier l’Univers, c’est l’observer sous toutes les coutures avec des télescopes de plus en plus grands, terrestres ou spatiaux, capables de capter différentes fréquences de rayonnements électromagnétiques: la lumière visible, les infrarouges (les fréquences qui chauffent) et ultraviolets (celles qui donnent le bronzage et le coup de soleil), les rayons X et gamma. Mais aussi les micro-ondes, et les ondes radios.
«Nous essayons de collecter autant d’informations que possible pour décrire de nouveaux objets, parfois à des millions, voire des milliards d’années-lumière, explique l’astrophysicien de l’Unige. Et envoyer des télescopes dans l’espace, comme le James Webb, est nécessaire pour améliorer la qualité de l’information, comme pour les infrarouges lointains, car ils sont absorbés par la vapeur d’eau de l’atmosphère.»
D’autres types d’ondes peuvent aussi renseigner sur l’histoire de l’Univers. C’est le cas des ondes gravitationnelles, vagues de l’espace-temps prédites par Albert Einstein en 1916, qui ont été confirmées par observation directe en 2016 grâce à l’instrument américain appelé LIGO (pour «Observatoire d’ondes gravitationnelles par interférométrie laser»). Les astrophysiciens à l’origine de cette découverte ont été récompensés par un Prix Nobel de physique en 2017.
Est-ce que les explorations se passent comme au cinéma?
Interstellar, Gravity, Seul sur Mars, Ad Astra… Le cinéma de Hollywood de ces dernières années a produit des films marquants mettant en scène des humains en apesanteur dans l’espace et voyageant sur de très longues distances, faisant pousser des pommes de terre sur Mars ou roulant à toute berzingue sur la surface lunaire. Est-ce crédible? Plutôt pas.
Dans son film Interstellar, Christopher Nolan s’est appuyé sur le savoir de l’astrophysicien américain Kip Thorne (les ondes gravitationnelles en 2016, c’était lui et deux autres physiciens) pour donner corps à Gargantua, un trou noir d’un autre système solaire. Si ce point est plutôt réaliste, pour le reste, notamment la possibilité que des humains voyagent durant plusieurs années, cela semble pour l’instant encore compliqué.
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Le voyage habité dans l’espace, Stéphane Paltani n’y croit pas. «Nous irons peut-être sur Mars, une ou deux fois, mais on se rendra compte que cela coûte trop cher et ne sert à rien. En plus, l’humain n’est pas fait pour rester longtemps dans l’espace. Nous sommes adaptés à une zone d’habitabilité très restreinte, entre quelques mètres sous le niveau de la mer et quelques kilomètres au-dessus. Dans l’espace, nous devons nous battre contre la température, le vide, les rayons cosmiques radioactifs. Pas sûr que nous puissions y vivre sans dommages.»
Comme l’ont montré récemment des médecins et chercheurs de la santé dans l’espace, sur des astronautes de l’ISS, l’exposition aux rayons cosmiques et à la microgravité peut entraîner des séquelles sur le corps humain.
En quoi étudier et comprendre l’univers peut-il avoir un impact sur l’avenir des humains?
«Selon ma femme, on ne sert à rien, ironise Stéphane Paltani. Je pense qu’on fait partie de l’aventure humaine, qui cherche à trouver sa place, et son sens, dans l’Univers! Évidemment, il y a aussi des retombées technologiques.»