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A la reconquête de la Lune

Cinquante ans après Apollo 17, notre satellite naturel attire de nouveau les convoitises de nombreux pays. Outre la course aux meilleurs emplacements au pôle Sud de l’astre, la question d’une possible exploitation de la glace d’eau est également en jeu

Une vue de la Lune depuis la Station spatiale internationale, en 2013. — © NASA
Une vue de la Lune depuis la Station spatiale internationale, en 2013. — © NASA

Afin de clore une année 2022 lourde de pesanteur terrestre, et pour entamer 2023 les yeux grands ouverts, nous proposons une série d’articles sur l'espace, en sciences comme dans la culture pop.

Retrouvez  tous nos articles sur les questions spatiales.

Imaginez des paysages où règnent à la fois une obscurité permanente et un froid extrême. Et d’autres, un peu plus loin, baignés d’une lumière presque constante, où le soleil descend rarement derrière l’horizon. Imaginez des températures pouvant atteindre jusqu’à 120 °C la journée et jusqu’à moins 230 °C la nuit et de possibles radiations cosmiques pouvant vous être fatales sur le long terme. Imaginez, enfin, pouvoir apercevoir la Terre et ses reflets bleu et argent à quelque 384 000 kilomètres de là, alors que devant vous s’alignent des cratères parfois profonds de plusieurs milliers de mètres. Vous y êtes? Alors bienvenue à la surface de la Lune, astre fascinant entre tous.

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Cinquante ans après la mission Apollo 17, qui mettait un terme en 1972 aux explorations lunaires américaines, voilà que notre satellite attise de nouveau toutes les convoitises, de la Chine aux Etats-Unis, en passant par l’Europe, les Emirats arabes unis, ou encore le Japon et l’Inde. Il aura toutefois fallu l’impulsion de l’Agence spatiale chinoise (CNSA) et de son programme d’exploration lunaire Chang’e, démarré officiellement en 2003, pour que les Américains s’intéressent de nouveau à l’astre sélène, par le biais de l’ambitieux programme d’exploration lunaire Artemis.

La Lune capturée par le vaisseau spatial Orion le 5 décembre 2022. — © NASA
La Lune capturée par le vaisseau spatial Orion le 5 décembre 2022. — © NASA

Un tremplin vers Mars

L’objectif affiché des Etats-Unis? Parvenir à faire «atterrir la première femme et personne de couleur à la surface de la Lune», et ouvrir la voie à «une présence lunaire à long terme» servant de «tremplin aux astronautes en route vers Mars». La mission Artemis 1 s’est d’ailleurs conclue le 11 décembre dernier avec l’amerrissage du vaisseau spatial Orion dans l’océan Pacifique, après que ce dernier a parcouru plus de 2,25 millions de kilomètres sur une trajectoire autour de la Lune, et passé un peu plus de vingt-cinq jours dans l’espace.

Prochaine étape, la mission Artemis 2, prévue officiellement fin 2024, amènera un équipage de quatre astronautes autour de notre satellite, mais sans s’y poser. Il faudra attendre la mission Artemis 3, qui sera lancée en 2025 selon les projections de la NASA, pour que des astronautes posent de nouveau leurs empreintes sur la Lune.

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Les Etats-Unis, appuyés par leurs partenaires européens, canadiens et japonais, entendent également assembler en orbite autour de la Lune, dès décembre 2024, le Lunar Gateway, une infrastructure permanente qui survolera le pôle Nord à environ 3000 kilomètres d’altitude et le pôle Sud à 70 000 kilomètres. Ce «portail lunaire», dont deux modules seront fournis par l’Agence spatiale européenne (ESA), servira à la fois d’habitation pour les astronautes, qui pourront y conduire des expériences, mais aussi de point d’arrimage pour les vaisseaux arrivant depuis la Terre ainsi que pour l’atterrisseur lunaire Starship de SpaceX. Il pourra également, à terme, servir de relais pour aller bien plus loin dans l’espace, vers la planète Mars.

Vue d'artiste du Starship, l'atterrisseur lunaire en cours de développement par SpaceX. — © SpaceX
Vue d'artiste du Starship, l'atterrisseur lunaire en cours de développement par SpaceX. — © SpaceX

Le calendrier sera-t-il tenu?

Reste toutefois à voir si les Etats-Unis parviendront à maintenir ce calendrier. Dans le milieu, il se souffle en effet que les retards s’accumulent. A titre d’exemple, les combinaisons qui serviront dans le cadre d’Artemis 3, et dont la confection a été déléguée à deux sociétés candidates, Axiom Space et Collins Aerospace, ne seront pas prêtes à temps. Par ailleurs, la presque totalité des étapes visant à s’assurer du bon fonctionnement du Starship – dont l’une des missions sera donc d’atterrir sur la Lune et d’en redécoller – n’ont toujours pas été réalisées, alors qu’il ne reste théoriquement que trois ans avant le lancement d’Artemis 3. La fabrication du nouveau pas de tir mobile (Mobile Launcher 2) pour la fusée Space Launch System de deuxième génération (SLS Block 1B), essuie également des retards techniques et des problèmes de financement. Autant d’écueils qui laissent à penser qu’un retour vers la Lune, pour les Etats-Unis et ses partenaires, se fera plus probablement vers 2027-2028.

Vue d'artiste du Lunar Gateway avec le vaisseau Orion en approche. — © NASA/Alberto Bertolin
Vue d'artiste du Lunar Gateway avec le vaisseau Orion en approche. — © NASA/Alberto Bertolin

Un fossé technologique qui se réduit

De son côté, la Chine continue également de multiplier les projets, même si elle peine à convaincre des partenaires de premier plan autres que la Russie. L’Agence spatiale chinoise, avec son pendant russe, entend ainsi rendre opérationnel son projet de station de recherche lunaire internationale d’ici à 2035. Sur le modèle de ce qui s’est fait en Arctique et en Antarctique, la Chine souhaite «établir des installations sur le pôle Sud de la Lune et construire un laboratoire scientifique à la surface, mais aussi en orbite lunaire, afin de réaliser des travaux de recherche interdisciplinaire», comme l’a expliqué le directeur adjoint de l’Administration spatiale nationale de Chine, Wu Yanhua, en lien avec une communication officielle publiée en janvier 2022. Selon le programme chinois, une présence humaine permanente sur la Lune pourrait avoir lieu dès la période 2036-2040.

«La Chine a démontré, avec la mission Chang’e 4 lancée en 2019 que l’on pouvait aller sur la face cachée de la Lune, ce que personne n’avait fait auparavant, analyse Didier Schmitt, expert de l’exploration humaine et robotique à l’ESA. D’autres grosses missions d’explorations robotiques sont en préparation, la prochaine étant Chang’e 6 qui sera lancée bientôt, et les Chinois vont tout faire pour accélérer leur programme de mission habitée lunaire. Le fossé technologique avec les Etats-Unis est en train de considérablement se réduire.»

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Et du côté des autres pays souhaitant décrocher la lune? Malgré une succession d’échecs, l’Inde prépare toujours sa prochaine mission robotique lunaire avec Chandrayaan 3. Le but principal étant de poser un atterrisseur et un petit rover sur les hautes terres proches du pôle Sud de la Lune en 2023. De son côté, le Japon entend toucher la surface de notre satellite en 2023 avec son Smart Lander for Investigating Moon (SLIM), un petit atterrisseur d’une masse de 730 kg équipé d’une caméra multispectrale chargée d’analyser les roches du manteau lunaire. Enfin, les Emirats arabes unis pourraient également avoir un rover sur la Lune en 2023. Baptisé Rashid et équipé, entre autres, d’une caméra microscopique, ce petit robot d’environ 10 kg permettra de déterminer les propriétés du régolithe, la poussière lunaire.

Exploitation des ressources

Reste une question: quelles sont les motivations poussant toutes ces nations vers notre satellite? Si l’intérêt scientifique est bel et bien là, l’enjeu est évidemment aussi géopolitique. «Un retour vers la Lune est un outil de soft power autant qu’il représente une démonstration des capacités technologiques de la part des pays qui y parviennent», commente James Carpenter, expert lunaire à l’ESA.

Il faut aussi dire que la NASA et l’Agence spatiale chinoise convoitent toutes deux des zones similaires d’atterrissage pour y réaliser des futures missions habitées. «Les missions Apollo se rendaient dans les zones équatoriales de la Lune. A l’époque, elles avaient toute la place qu’elles souhaitaient, retrace Didier Schmitt. L’enjeu, désormais, est de se rendre au pôle Sud pour des raisons scientifiques et d’accès aux ressources. Il y a toutefois très peu d’endroits où il est possible d’atterrir. On a en effet identifié une quinzaine de sites qui pourraient être sûrs et intéressants, or le premier qui arrive s’octroie de facto une zone. Et les Etats-Unis ont déjà annoncé vouloir un périmètre de sécurité pouvant aller jusqu’à 10 kilomètres.»

Pour aller plus loin: Comment vivre sur la Lune?

L’exploitation des ressources est également un enjeu important. C’est en effet dans le sol lunaire que se trouvent les éléments et les matériaux pouvant être nécessaires à une présence humaine prolongée. «Il existe différentes ressources sur la Lune, résume James Carpenter. La glace d’eau en est une, l’oxygène, de même que les différents minéraux et métaux [par exemple le sodium, l’aluminium, le silicium et le titane de fer] présents dans le sol lunaire en sont d’autres. Reste à voir si ces ressources auront une valeur économique ou stratégique.»

Vision d'artiste d'une future base lunaire qui aurait été construite avec des imprimantes en trois dimensions et en se servant du régolithe, la poussière lunaire. — © REGOLIGHT/LIQUIFER SYSTEMS GROUP, 2018
Vision d'artiste d'une future base lunaire qui aurait été construite avec des imprimantes en trois dimensions et en se servant du régolithe, la poussière lunaire. — © REGOLIGHT/LIQUIFER SYSTEMS GROUP, 2018

A noter que l’hélium 3, déposé par les vents solaires à la surface de la Lune (un élément que l’on trouve en très faible quantité sur terre et qui pourrait fournir de l’énergie par fusion nucléaire), fait également partie des ressources convoitées, tout comme les terres rares, des métaux que l’on trouve dans tous nos appareils électroniques. «Ces aspects-là ne sont pas du tout crédibles, estime Didier Schmitt. Exploiter ce genre de ressources défigurerait la Lune à tout jamais et, de surcroît, cela ne serait pas rentable de les ramener sur Terre.»

Encore beaucoup à découvrir

Pour l’heure, le principal centre d’intérêt reste donc la présence d’eau. «On suppose qu’il y a de la glace d’eau au niveau des pôles, décrit Evelyn Füri, chargée de recherche du CNRS au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy. Mais on ne sait toujours pas si cette eau se présente sous forme de glace solide à quelques centimètres ou quelques mètres de profondeur, ou s’il s’agit de givre à la surface.» Son origine reste aussi à déterminer. L’eau pourrait en effet provenir de comètes ou d’astéroïdes ayant impacté notre satellite sur des milliards d’années, ou avoir été créée au cours de réactions chimiques entre les noyaux d’hydrogène émis par le Soleil et l’oxygène présents dans les minéraux à la surface de la Lune.

Exploiter cette eau nécessitera néanmoins de gros efforts, car il faudra alors se rendre dans des régions très froides au fond de cratères qui ne voient jamais la lumière du jour. «La principale interrogation étant «avec quelle source d’énergie?», pointe la scientifique qui travaille notamment sur le traçage et l’origine de l’eau sur la Lune. Celle-ci est en effet essentiellement fournie par la lumière du soleil.»

L'Agence spatiale européenne aimerait voir le premier astronaute européen se poser sur la Lune avant 2030. — © ESA-ATG
L'Agence spatiale européenne aimerait voir le premier astronaute européen se poser sur la Lune avant 2030. — © ESA-ATG

Scientifiquement, la Lune reste par ailleurs un terrain à découvrir sur bien des aspects, seuls 4% de l’astre ayant été échantillonnés jusqu’ici. «Les missions Apollo ont visité un nombre très limité d’endroits sur une surface équivalente à la taille de l’Afrique», illustre James Carpenter. «Il s’agira de ramener des échantillons qui ont une valeur scientifique, or tous les cailloux qui traînent à la surface de la Lune ne sont pas intéressants, pointe Evelyn Füri. Si l’on pouvait, il faudrait creuser en profondeur pour récupérer des échantillons qui n’ont jamais été exposés aux rayonnements cosmiques et solaires. Ce qui est compliqué lorsque l’on considère que le régolithe a une épaisseur d’une dizaine de mètres partout à la surface de la Lune.»

Quelle est l’origine de l’eau lunaire? Les roches de la face cachée ont-elles le même âge que celles de la face visible? La structure de notre satellite est-elle dissymétrique? Ces nombreuses questions, toujours en suspens, trouveront peut-être des réponses grâce aux prochaines missions robotiques et humaines vers la Lune.