Le tir inaugural du nouveau cosmodrome russe Vostotchny devrait se dérouler ce matin en présence du président russe Vladimir Poutine. Initialement prévu hier matin à 11h01 locales (4h01 du matin à Lausanne), le lancement de la fusée Soyouz-2.1a, chargé de mettre en orbite trois satellites, a été interrompu à seulement deux minutes du départ par le système de pilotage automatique du lanceur, a indiqué Roscosmos, la corporation d’Etat contrôlant toute l’industrie spatiale russe.

Venu assister au lancement historique, le président Vladimir Poutine a décidé de rester 24 heures supplémentaires dans l’Extrême-Orient russe pour ce qui est considéré par les médias russes comme «l’événement spatial de l’année». Mécontent, Vladimir Poutine a déclaré vouloir rester à Vostotchny jusqu’à ce que les raisons de l’incident soient déterminées.

«Malgré tous les échecs, la Russie reste la puissance dominante en termes de nombre de lancements spatiaux», a rappelé le président russe lors d’une réunion avec les responsables du secteur spatial. Selon lui, le report de mercredi est dû à un problème sur le lanceur, tandis que le cosmodrome n’est pas en cause. Si le patron de Roscosmos Igor Komarov affirme que le problème peut être corrigé avant demain matin, beaucoup de commentateurs s’attendent à ce que le tir inaugural soit reporté à une date indéterminée.

Pressions politiques

Le cosmodrome, qui a déjà coûté trois milliards de dollars, défraie la chronique depuis plusieurs mois à cause d’affaires de détournement de fonds, et de grèves d’ouvriers se plaignant de retards de salaires. Pas moins de 31 plaintes ont été déposées pour corruption et malversations d’un montant total atteignant 4 milliards de roubles (60 millions de francs).

Ces scandales ont accentué la nervosité des autorités. Les chaînes télévisées, qui retransmettent habituellement en direct les tirs importants, ne diffuseront pas le tir inaugural. En outre, des journalistes russes présents à Vostotchny ont reçu la consigne d’attendre dix minutes après le décollage avant de diffuser leurs informations. Les journalistes étrangers n’ont pas été autorisés à assister au tir. Les experts russes rappellent qu’un report de tir n’a rien d’exceptionnel dans l’industrie spatiale. Mais la pression politique sur les scientifiques et techniciens peut avoir un effet négatif. «La présence des hauts responsables ne fait qu’augmenter l’énervement et gêne le travail», estime Vadim Loukachevitch, expert de l’industrie aérospatiale.

Les enjeux politiques pèsent de plus en plus sur la construction de Vostotchny. Le Kremlin utilise les succès soviétiques dans l’espace pour entretenir la ferveur nationaliste et souhaite aujourd’hui emporter des victoires symboliques sur l’Occident. Il s’agit de conserver le statut de grande puissance spatiale, qui passe par la construction d’un cosmodrome civil. Baïkonour, principal cosmodrome de l’URSS, se trouvant depuis 1991 sur le territoire du Kazakhstan indépendant, la nécessité d’un cosmodrome en Russie était une question de souveraineté nationale.

Le déficit de financement a longtemps retardé la décision, prise finalement en 2007 par Vladimir Poutine. A l’époque, il était prévu de procéder au premier tir en 2015 suivit d’un premier vol habité en 2018. Situé dans l’Extrême-Orient russe, Vostotchny a été conçu au départ pour être une base de lancement pour les vols habités vers la Lune.

Un lancement «singulier»

Le directeur de la représentation de l’agence spatiale européenne (ESA) en Russie René Pischel trouve singulier que Vostotchny se soit dépêché de consacrer un pas de tir au lanceur Soyouz, alors que ce dernier est déjà tiré depuis Plesetsk (Nord de la Russie), Kourou (Guyane) et Baïkonour. Il note aussi que le calendrier de tir est fort peu fourni. Derrière le tir inaugural, il n’y a en effet aucun lancement de prévu avant 2018.

Le chantier de l’autre pas de tir de Vostotchny, dédié au futur lanceur lourd Angara, n’en est qu’à ses balbutiements. À cause du retard pris par Vostotchny, la Russie continuera d’utiliser Baïkonour jusqu’en 2023 pour ses vols habités, a indiqué le vice-premier ministre Dmitri Rogozine la semaine dernière. Roscosmos a indiqué que les premiers vols habités depuis Vostotchny n’auront pas lieu avant 2021.

La crise économique est passée par là, forçant Moscou à réduire la voilure. Il n’est plus question de vol vers la lune. Après avoir considérablement augmenté dans les années 2000, le budget consacré par la Russie à l’espace régresse depuis 2015 et est divisé par deux si l’on compte en dollars (2,7 milliards cette année contre 5 milliards en 2014).

«Le Kremlin veut des victoires faciles et exploitables politiquement, tout en réduisant le financement des projets scientifiques» déplore un chercheur russe, qui préfère rester anonyme. «Ce court-termisme nous mènera dans le mur». Guère plus optimiste, Vadim Loukachevitch, faisant référence à l’entrepreneur Elon Musk, suggère qu’un «seul homme d’affaires américain est capable d’enterrer tout le secteur spatial russe».

La Russie compte pourtant un homme d’affaires prêts à relever le défi. Iouri Milner, un milliardaire ayant fait fortune dans l’internet, a annoncé le 12 avril qu’il investira 100 millions de dollars dans la construction d’un vaisseau spatial voyageant à la vitesse prodigieuse de 60 000 km/h. Le hic, c’est que Milner n’a pas prévu d’investir cet argent en Russie, où l’État désire garder un contrôle total sur le secteur spatial.