Les Etats-Unis dans les ténèbres: ce n’est pas la conséquence d’un quelconque climat politique, mais d’une éclipse totale de Soleil qui se déroule ce lundi soir. Si les Américains ont d’ores et déjà cédé à l’éclipsemania, certains gardent la tête froide: les scientifiques. Astronomes et astrophysiciens traqueront Soleil et Lune depuis des points d’observation sciemment choisis. Certains patienteront au sommet d’une montagne. D’autres observeront même le spectacle depuis la stratosphère, à bord d’avions spécialement affrétés!

Le suivi en direct par la chaîne éducative de la NASA:

Pas uniquement pour le plaisir des yeux, bien entendu, mais surtout pour mener des expérimentations précisément faisables lorsque le disque lunaire obscurcira l’astre du jour. Oui, cela peut paraître surprenant, mais il reste encore bien des choses à apprendre de ces rares événements.

En 2015: L’éclipse éclipsée

De l’hélium à Einstein

Historiquement, les éclipses ont été l’occasion de découvertes parfois majeures. Observant une éclipse solaire en Inde en 1868, l’astronome français Jules Janssen remarqua la présence d’une raie inconnue dans le spectre lumineux de la couronne solaire. Chaque raie représentant un élément chimique, il attribua cette nouvelle venue à un nouvel élément: l’hélium, du grec helios, le Soleil. Mais l’expérience la plus célèbre demeure sans doute celle du 29 mai 1919.

Lors de l’éclipse qui eut lieu ce jour-là, l’astrophysicien britannique Arthur Eddington démontra que la lumière provenant de lointaines étoiles de l’amas des Hyades était déviée par la masse du Soleil (il fallait attendre une éclipse pour le voir sans être gêné par la lumière solaire). Une observation qui confirma l’un des points de la théorie d’un certain Albert Einstein, à savoir que l’espace peut être courbé par l’énergie, qu’il s’agisse de masse ou d’énergie cinétique.

Etudier la couronne solaire

«La beauté des éclipses, c’est qu’on découvre de nouvelles choses lors de chacune d’entre elles», a déclaré à la revue Nature Shadia Habbal, spécialiste du Soleil à l’Université d’Hawaii, et chasseur d’éclipses depuis peu. Et celle du 21 août est exceptionnelle au moins sur un point: visible sur une bande de 110 kilomètres de large balayant les Etats-Unis d’est en ouest, elle sera suivie par des dizaines de milliers d’observateurs.

Que reste-t-il donc à apprendre du Soleil? Les éclipses solaires, qui surviennent en moyenne une fois tous les dix-huit mois, sont des moments privilégiés pour étudier la couronne solaire, couche la plus externe de l’atmosphère de notre étoile. Cette zone est habituellement difficilement observable: les gigantesques colonnes de gaz ionisés (ou plasma) qui la composent sont le plus souvent noyées par les intenses lumières émanant de la surface.

Coronographes

Pour y remédier, les astrophysiciens ont recours à des coronographes. Ils agissent comme un disque opaque obscurcissant la partie centrale du Soleil, mimant ainsi le passage de la Lune devant le Soleil. Mais ces outils, que les scientifiques installent sur des télescopes terrestres comme spatiaux, ne sont pas la panacée pour observer la couronne. Ils sont en effet conçus pour obscurcir une surface légèrement plus grande que le disque stellaire, si bien qu’ils cachent toujours une partie de la couronne par la même occasion. La meilleure solution reste donc, en attendant mieux, de profiter d’une éclipse totale.

Et certains vont profiter comme peu d’êtres humains avant eux. Une équipe d’astrophysiciens prendra place à bord d’un jet de la Fondation nationale américaine pour la science afin de mesurer, dans l’infrarouge, la force des champs magnétiques de la couronne solaire. Le vol aura lieu dans la stratosphère, à une quinzaine de kilomètres d’altitude, et ce afin d’éviter tout nuage. De telles mesures ont déjà été réalisées depuis l’espace dans l’ultraviolet, et au sol dans la lumière visible, mais jamais dans les longueurs d’onde de l’infrarouge. Avec cette pièce du puzzle en plus, les astrophysiciens espèrent ainsi mieux comprendre ces phénomènes magnétiques redoutés pour leur nuisance envers les appareils électroniques.

Dans un ranch

De son côté, la NASA va envoyer non pas un, mais deux avions. L’objectif de ces deux appareils, qui se suivront à quelques minutes d’intervalle: filmer les filaments de plasma dans la couronne, grâce à des caméras à très haute vitesse. Le temps total de capture, soit 7 minutes, devrait être suffisant pour rapporter des images somptueuses de ces violentes éruptions stellaires. «Nous aimerions découvrir par quel mécanisme l’énergie du Soleil est transmise dans la couronne», a confié à Nature Amir Caspi, de l’Institut de recherche du sud-ouest à Boulder. L’expérience sera aussi l’occasion de réaliser la première cartographie thermique de la planète Mercure, et de traquer les vulcanoïdes, des petits astéroïdes situés entre cette planète et le Soleil.

Au sol, une équipe française basée «dans un ranch perdu dans les petites montagnes du centre-nord de l’Idaho», selon les dires de Jean Mouette, de l’Institut d’astrophysique de Paris. Elle va se consacrer à l’étude du rayon du Soleil, une donnée jamais enregistrée avec précision. Pour y parvenir, les chercheurs mesureront les variations de luminosité lors de l’arrivée et du départ du disque lunaire.