Thomas Zurbuchen, un responsable suisse de la NASA: «Nous allons observer l’espace comme nous ne l’avions jamais vu avant»
Missions
Aujourd’hui Mars avec Perseverance, demain la Lune pour les missions Artemis, en attendant les planètes lointaines visées par le télescope spatial James-Webb… L’actualité de la NASA est riche pour les années à venir. Le point avec le Suisse Thomas Zurbuchen, à la direction des missions scientifiques de l’institution

Il a commencé par étudier la physique à l’Université de Berne, et occupe aujourd’hui un des postes clés à la NASA. Thomas Zurbuchen est administrateur associé de la direction des missions scientifiques de l’agence spatiale américaine. Il revient sur les missions spatiales en cours particulièrement enthousiasmantes en ce moment.
Le Temps: Le rover Perseverance est encore en phase de tests et va très bientôt entamer son travail à la surface de Mars. Qu’est-ce que cette mission va apporter de plus, moins de dix ans après l’arrivée de Curiosity?
Thomas Zurbuchen: C’est un nouveau cap pour la NASA alors que nous sommes déjà présents sur Mars depuis des décennies et que nous avons toujours beaucoup de choses à apprendre. Ce que nous savons, c’est qu’il y a trois milliards d’années, à l’époque où les premiers micro-organismes faisaient leur apparition sur Terre, il y avait des fleuves et des rivières qui coulaient à la surface de Mars! Certainement aussi un champ magnétique et une atmosphère beaucoup plus épaisse qu’aujourd’hui. C’est cette période que nous voulons étudier, là où tout semble si similaire à la Terre.
Perseverance s’est posé dans le cratère Jezero, là où il devait y avoir un lac auparavant. Nous allons mener des analyses géologiques pour comprendre cet environnement. Mais aussi et surtout préparer le retour d’échantillons.
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Ce sont ces échantillons qui constituent le vrai cœur de la mission?
Oui, c’est uniquement quand les échantillons seront revenus que nous pourrons considérer que la mission est accomplie. J’étais tout petit quand des morceaux de la Lune ont été ramenés sur Terre, et ils sont encore étudiés aujourd’hui, ils ont aidé à résoudre de nombreux mystères. Ce sont ces échantillons martiens qui pourront peut-être apporter la réponse à la question cruciale: la vie a-t-elle pu apparaître sur Mars? C’est un moment très important pour notre compréhension de la planète. Sans compter toutes les questions que nous ne nous sommes pas encore posées et qui trouveront des réponses grâce à cela.
La Lune a été mise de côté pendant un temps mais, désormais, nous allons y envoyer des humains.
En parallèle, la NASA prépare aussi son grand retour sur la Lune avec les missions Artemis.
C’est une nouvelle étape pour nous alors que tous nos vols habités depuis des décennies partent uniquement vers la Station spatiale internationale. La Lune a été mise de côté pendant un temps mais, désormais, nous allons y envoyer des humains. Il y a également un aspect robotique très important puisque du matériel doit aussi faire le trajet, tout cela est encore en préparation mais nous avançons bien.
Et vous comptez utiliser le SLS, le futur lanceur lourd de la NASA?
C’est ce qui est prévu. Fin mars nous avons mené le Green Run, les engins principaux ont été allumés pendant le temps nécessaire au décollage en conditions réelles, et tout s’est très bien passé. C’est même un succès total! Maintenant, il s’agit de faire voler cette partie de la fusée. Les autres parties sont déjà à cap Canaveral, prêtes au lancement et on espère voir le résultat très bientôt.
Sans la NASA, il n’y aurait pas de SpaceX
En face, il y a aussi SpaceX avec son Starship, qui multiplie les essais. Est-ce que c’est un concurrent sur ce secteur des lanceurs lourds?
On ne peut pas parler de concurrence. Ce que les gens oublient, c’est que sans la NASA il n’y aurait pas de SpaceX! Nous travaillons tous ensemble, le public et le privé. Et je suis fier de voir la vitalité des entreprises américaines dans le spatial, que ce soit SpaceX, Blue Origin, Rocket Lab ou United Launch Alliance. C’est tous ensemble que nous formons le secteur spatial, ce sont nos partenaires.
A titre personnel, je suis chaque nouvel essai du Starship avec beaucoup d’attention, c’est fascinant de voir l’arrivée de nouvelles technologies et le public se passionner pour ces véhicules innovants. Evidemment, à la NASA nous ne travaillons pas du tout de la même manière mais, quelque part, nous visons les mêmes objectifs.
Aujourd’hui, SpaceX est un partenaire majeur qui a beaucoup de valeur. Parmi nos prochains lancements, certains sont menés avec des fusées qu’ils ont construites et ils ont considérablement fait baisser les prix des missions. Il y a beaucoup d’opportunités à saisir grâce au secteur privé, et ce n’est pas valable que pour les Etats-Unis.
L'actualité du vendredi 23 avril 2021: Quatre astronautes, dont Thomas Pesquet, ont décollé vers l’ISS à bord d'une fusée de SpaceX
LIVE: Watch NASA's @SpaceX Crew-2 mission launch to the @Space_Station! Liftoff is at 5:49am ET (9:49 UT): https://t.co/LEYyM1d5Y3
— NASA (@NASA) April 23, 2021
Justement, le secteur spatial se développe très vite dans certains pays, à commencer par la Chine. Qu’est-ce que vous avez pensé de leurs récentes missions à destination de la Lune et de Mars?
C’était très impressionnant. J’aime beaucoup le fait que chaque pays s’investisse, se donne les moyens de laisser sa propre marque dans l’histoire de la conquête spatiale. J’ai personnellement félicité l’agence spatiale chinoise lors de l’arrivée de leur sonde en orbite de Mars.
Que ce soit la Chine ou n’importe quel autre pays, à chaque fois qu’il y a de l’investissement et du travail pour ce genre de projet, ça crée de l’inspiration pour l’espace et, plus généralement, pour la science. Nous aussi aux Etats-Unis nous avons d’importants partenariats avec des puissances étrangères, c’est le pouvoir de la science! Quelque chose qui nous rapproche tous et qui nous pousse vers un but commun: explorer.
Sur cette scène internationale, quel rôle joue la Suisse? Le pays a beaucoup fait parler de lui avec le Prix Nobel reçu par Michel Mayor et Didier Queloz en 2019, les découvreurs de la première exoplanète.
Cette annonce a été un des plus beaux moments de ma vie! J’étais vraiment heureux lorsque j’ai vu qu’ils avaient été primés. En plus, ce sont les personnes les plus gentilles que je connaisse, je les avais vus lorsque j’étudiais à Fribourg. La Suisse a vraiment un potentiel en science et des compétences très pointues. Si elle mettait en avant une plus vaste stratégie nationale, elle deviendrait un acteur incontournable.
Au-delà du fait que Michel Mayor et Didier Queloz sont Suisses, c’est extraordinaire de voir une telle reconnaissance pour le sujet des exoplanètes. Je me rappelle cette conférence en 1995 où ils avaient annoncé la découverte de 51 Pegasi b, la première exoplanète jamais détectée. Et aujourd’hui nous avons une telle diversité. Il y a des planètes similaires à la Terre, d’autres très différentes. Tout cela remet en cause nos connaissances sur l’astrophysique. Ce sont ces planètes qui ont bouleversé la recherche, elles font partie intégrante de nos investigations. C’est grâce à elles que Perseverance mène actuellement une mission sur l’astrobiologie.
A propos des exoplanètes, nous devrions en apprendre davantage encore grâce au James Webb Space Telescope (JWST). Après plusieurs retards, est-ce qu’un lancement pour fin 2021 est toujours envisageable?
Nous sommes confiants pour que tout se déroule comme prévu. Maintenant que l’échéance approche, nous avons fréquemment des réunions avec l’équipe impliquée et nous faisons des progrès. L’enjeu est énorme, nous sommes face à la mission la plus importante pour l’astrophysique depuis Hubble en 1990! En son temps, ce télescope spatial avait révolutionné la physique en dévoilant des galaxies de l’Univers primordial [des galaxies jeunes, apparues juste après le Big Bang, ndlr]. Mais avec le JWST, nous passons à un tout autre niveau, nous allons pouvoir analyser des exoplanètes, d’autres Systèmes solaires. C’est comme enfiler de nouvelles lunettes, nous allons observer l’espace comme nous ne l’avions jamais vu avant. Cela peut paraître excessif mais non! C’est très difficile d’exagérer les performances de cet appareil.
Et que peut-on attendre des autres missions des mois qui viennent?
Ce sont des missions plus petites mais tout aussi intéressantes prévues avant la fin de l’année. D’abord il s’agit de Lucy, une sonde qui va partir observer des astéroïdes troyens qui sont sur la même orbite que Jupiter – soit en avance soit en retard. Ils n’ont jamais encore été étudiés par une sonde spatiale, et nous pensons qu’ils peuvent être liés à Arrokoth, un objet découvert par New Horizons mais nous n’avons aucune certitude.
L’autre mission, c’est DART. Un appareil qui va tout simplement foncer sur un petit astéroïde! Le but, c’est de calculer comment faire pour le dévier si jamais l’un d’eux venait à se diriger vers la Terre.
Mais honnêtement, c’est difficile pour l’instant pour moi d’en parler, j’en suis encore à me demander si Perseverance va bien survivre sur Mars, et si le JWST va être lancé comme prévu. Une fois que tout cela sera passé, je pense que nous nous sentirons tous beaucoup mieux.
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