Des expériences le prouvent: l’odeur humaine est un puissant aimant pour les moustiques dangereux
Entomologie
AbonnéUne vaste étude mimant un environnement naturel en Afrique démontre le rôle essentiel de nos effluves dans la capacité du moustique vecteur du paludisme à nous dénicher

«Je suis une proie facile pour les moustiques.» Combien de fois a-t-on prononcé ou entendu ces mots, alors que les températures printanières font resurgir ces insectes de nos contrées tempérées. Mais qu’en est-il exactement? Peut-on comparer de manière objective l’attractivité des humains pour cette bestiole pénible? La question est d’autant plus cruciale qu’elle est un véritable tueur en série: pas moins de 700 000 personnes meurent chaque année de maladies à vecteurs selon l’OMS, dont le moustique est de loin le premier pourvoyeur, notamment au travers du paludisme – 219 millions de cas et 400 000 décès annuels – ou de la dengue – 96 millions de cas et 40 000 décès. Sans compter les effets moins létaux mais souvent redoutables de la fièvre jaune, du Zika, du chikungunya, du virus du Nil occidental ou de l’encéphalite japonaise, pour ne citer que ces pathologies.
Si l’on connaît l’aptitude de ce détestable animal à détecter le gaz carbonique exhalé par ses proies, sa vision efficace et sa grande capacité à repérer la chaleur, de nombreuses études sont venues confirmer ces dernières années la présence d’une quatrième arme – sans doute la plus fatale – dans l’arsenal des culicidés: ils flairent certaines molécules volatiles émises par notre peau.
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«C’est ce que nous avons voulu vérifier sur le terrain, sur Anopheles gambiae, le moustique vecteur du paludisme, avec des scientifiques partenaires en Zambie, explique Conor McMeniman, de la Johns Hopkins University à Baltimore (Maryland, Etats-Unis), qui a coordonné des travaux publiés dans l’édition du 19 mai de Current Biology. Ce groupe a piloté, dans le sud de la Zambie, la construction d’une installation aux dimensions inédites pour comprendre des processus clés de la perception des humains. D’une part, le rôle du CO2 et de la chaleur utilisés comme appâts, et, d’autre part, la perception comparative d’odeurs émanant d’Homo sapiens endormis.
Mille mètres cubes de liberté très surveillée
Une cage à moustique de 400 mètres carrés et 2,5 mètres de haut a ainsi été érigée près d’un village zambien, équipée en son centre de huit plateformes chauffées à 35 °C et filmées par des caméras infrarouges pour détecter les atterrissages de moustiques. De plus, un dispositif ventilé diffuse au niveau de chaque plateforme de l’air ambiant ou enrichi en CO2, de manière à simuler la respiration d’un adulte de 100 kg. Tous les tests ont été réalisés entre 22h et 4h du matin, pour se caler sur le pic d’activité de l’anophèle.
Une première série d’expériences a permis de constater que les moustiques sont attirés par la combinaison de chaleur et de CO2. Forts de ce premier résultat, les scientifiques ont entamé une seconde série de tests, pour déterminer l’attractivité de l’odeur humaine: huit tentes d’une place ont été montées à 15 mètres de l’une des quatre faces de la cage et reliées à celle-ci par un petit tunnel doté d’un ventilateur pour faire circuler l’air jusqu’à l’une des plateformes chauffées.
Pendant six nuits, un humain dormait dans une tente, ses effluves parvenant sur l’une des plateformes, tandis que les sept autres ne libéraient que du CO2. Cette fois, l’anophèle a marqué un net attrait pour l’odeur humaine, confirmant l’importance de l’olfaction dans la recherche de victimes. Détail important, les moustiques ne pouvaient en aucun cas piquer les humains. «Il est hors de question d’exposer des personnes à des moustiques susceptibles d’être porteurs du paludisme», insiste Conor McMeniman.
Ensuite, d’autres expériences avec deux dormeurs ont montré que l’anophèle préférait systématiquement l’odeur de l’un d’entre eux. Une première vérification que deux personnes ne suscitent pas le même désir de piquer.
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Deux molécules sortent du lot
La dernière expérience, associant cette fois six dormeurs dans leur tente pendant six nuits, a permis de classer ces volontaires en fonction de leur attractivité pour l’anophèle. Mieux, les chercheurs ont tenté d’expliquer ces observations. En effet, pendant ces nuits, de l’air était systématiquement extrait de chaque tente, puis analysé par chromatographie. C’est ainsi que six profils olfactifs ont été établis pour chaque personne – soit un par nuit et par humain. Les scientifiques ont pu identifier en particulier une quinzaine de composés volatils qui présentent des différences notables de concentration d’une personne à l’autre. La plupart sont des acides carboxyliques, présents en quantités plus abondantes chez le sujet le plus attractif, et bien moindres dans l’odeur la moins appréciée. Des substances dont certaines sont présentes dans le sébum produit par les glandes sébacées et d’autres libérées par des bactéries qui vivent à la surface de la peau, à l’image de l’acétoïne ou de l’eucalyptol, les deux molécules qui seraient les plus attirantes pour l’anophèle, selon ces résultats.
«C’est une étude très intéressante», commente Maria Elena De Obaldia, postdoctorante à l’Université Rockefeller de New York, qui n’y a pas participé. Elle a cosigné des travaux publiés en octobre, réalisés en laboratoire avec une autre espèce, Aedes aegypti, responsable notamment de la transmission de la fièvre jaune, de la dengue, du chikungunya et du Zika. «Nous avons étudié son attirance pour des morceaux de bas en nylon portés pendant six heures sur l’avant-bras avant d’être placés dans notre dispositif expérimental couplé à une cage. C’est sans doute ce qui explique que les molécules que nous avons identifiées sont plus grosses que celles mises en évidence par mes collègues, qui sont plus volatiles et sans doute moins rémanentes que celles captées par nos tissus synthétiques. Mais nous constatons aussi de fortes différences d’attractivité entre humains, et ce sur un échantillon de 60 personnes.» Ces résultats mettent aussi en évidence des mutations génétiques chez Aedes aegypti qui altèrent la détection des odeurs, ouvrant une voie de compréhension de la physiologie olfactive de l’animal.
Des moustiques tous armés de la même manière?
L’une des grandes énigmes de cet agaçant et meurtrier insecte est de comprendre ce qui serait commun – ou pas – à ces quelque 3000 espèces. «Il est probable que celles qui sont spécialisées sur l’humain sont dotées d’un système olfactif plus performant que les généralistes», souligne Conor McMeniman. Ces derniers, à l’image du moustique commun, Culex pipiens, le plus répandu dans l’hémisphère nord, et qui n’est pas vecteur de maladies, sont opportunistes. «Si vous placez un humain au milieu de 20 vaches, c’est lui qui sera piqué par l’anophèle. Mais il serait intéressant de déterminer ce que nos odeurs et celles des autres mammifères ont en commun et aussi de comprendre comment se comporte le moustique commun. Nous espérons construire le même type d’installation, ici dans le Maryland, pour en avoir le cœur net.»
En attendant, le site expérimental zambien est appelé à fonctionner sur le long terme. «Nous allons mener des comparaisons sur un grand nombre de personnes et déterminer le rôle que peut jouer leur alimentation ou leur boisson dans l’attractivité pour l’anophèle.» En 2010, des travaux avaient suggéré qu’un consommateur de bière était plus appétissant qu’un buveur d’eau. La même chose serait-elle vraie pour les buveurs de soda? «On peut penser que c’est le CO2 contenu dans la bière qui peut expliquer le phénomène, mais tant qu’on n’aura pas fait la comparaison avec d’autres boissons gazéifiées, nous ne le saurons pas», conclut Maria Elena De Obaldia.
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