Après une année 2007 triomphale, au cours de laquelle le GIEC a publié son quatrième rapport et remporté le Prix Nobel de la paix, deux affaires sont venues ternir l’image de l’organisation. La première, baptisée le «Climategate», a résulté de la divulgation d’une série d’e-mails privés de professeurs de l’université britannique d’East Anglia, un des hauts lieux de la recherche mondiale sur le climat, en novembre 2009. Ces messages, au contenu ambigu, laissent entendre que certains chercheurs influents s’appliquent à «faire le ménage» dans leur discipline» afin de défendre avec plus de force leur vision du réchauffement climatique. Le scandale résulte d’individus et non du GIEC dans son ensemble. Et, selon huit enquêtes réalisées dans son sillage, il ne remet pas en cause le rôle de l’homme dans le réchauffement climatique. Mais il n’en a pas moins mis au jour des risques de partialité et d’abus de pouvoir.
La seconde affaire, baptisée l’«Himalayagate», a éclaté deux mois plus tard, en janvier 2010, lorsqu’une erreur grossière concernant le recul des glaciers himalayens dans le quatrième rapport du GIEC a révélé une série de dysfonctionnements au sein de l’organisation. Notamment un piètre contrôle de certaines sources, un choix discutable de certains auteurs, une énorme difficulté à reconnaître des erreurs et à répondre aux questions légitimes des médias. Une attitude qui n’a fait qu’exacerber les critiques.
La crise s’est avérée bientôt si profonde que le parrain du GIEC, l’Organisation des Nations unies, s’est résolue à «expertiser ses experts». Son secrétaire général, Ban Ki-moon, et le président du groupe, Rajendra Pachauri, ont commandé en mars 2010 un audit à l’InterAcademy Council, une organisation créée dix ans plus tôt à l’initiative de nombreuses académies des sciences pour fournir à de grandes institutions publiques des conseils de haut niveau sur des dossiers scientifiques.
L’InterAcademy Council a rendu le 30 août 2010 un rapport critique sur les pratiques du groupe d’experts. Après avoir confirmé une série de dysfonctionnements, elle appelé le GIEC à se réformer dans différents domaines pour conserver sa crédibilité. «La climatologie est devenue si centrale dans des débats publics importants, explique son rapport, que responsabilité et transparence doivent être considérées comme des obligations croissantes, et cela seul requerrait de revisiter les processus et les procédures du GIEC.»
Comment? Le document formule une longue liste de recommandations, qui reprennent en détail les points litigieux. Notamment le contrôle des sources, le choix des auteurs, la correction des erreurs, la communication, la structure de commandement et les conflits d’intérêts. Autant de conseils que le GIEC a passés en revue depuis, au cours de ses 32e, 33e, 34e et 35e sessions, tenues respectivement en octobre 2010 à Busan (en Corée du Sud), en mai 2011 à Abu Dhabi (aux Emirats arabes unis), en novembre 2011 à Kampala (en Ouganda) et, enfin, en juin 2012 à Genève.
Ces réunions ont débouché sur une large gamme de réformes. Pourtant, le bilan est mitigé. Nombre de recommandations de l’InterAcademy Council n’ont été que partiellement suivies (lire encadré ci-dessous). Qu’en déduire? Que tous les conseils donnés n’étaient pas pertinents? Que le GIEC reste assez sûr de sa réputation pour s’épargner certains des changements recommandés?
Sous le couvert de l’anonymat, un membre du GIEC donne une autre explication. Le caractère partiel de la réforme engagée ces dernières années serait plutôt dû à la complexité des mécanismes qui régissent le groupe d’experts. Les réponses aux recommandations de l’InterAcademy Council ont été formulées lors de sessions plénières de l’organisation. Très logiquement puisque ces réunions représentent l’autorité suprême du groupe d’experts. Or, à ce niveau, les décisions sont prises par les Etats, une ribambelle d’Etats. Et ces acteurs-là «ont des visions très différentes de ce qui doit être accompli et de la manière d’opérer». Par conséquent, on ne peut guère attendre d’une telle enceinte que des «consensus», arrachés parfois au terme de plusieurs rounds de négociations. En espérer des résolutions systématiquement claires et nettes est tout simplement illusoire. Et tant pis si certains observateurs restent parfois sur leur faim!
Pour le président de l’organisation, Rajendra Pachauri, la crise de confiance est résolue et son organisation est plus forte que jamais. «Nous nous attendons à ce que le cinquième rapport soit le meilleur d’une longue série de publications destinées à informer les décideurs politiques sur l’état du changement climatique et les options existantes pour l’affronter, affirme le dirigeant. Il sera le plus détaillé jamais publié par le GIEC.»
«Responsabilité et transparence doivent être considérées comme des obligations croissantes»
«Les Etats ont des visions très différentes de ce qui doit être accompli et de la manière d’opérer»