On la croit parfois à tort éradiquée d’Occident. Vague souvenir des années d’après-guerre, avec pour vestiges contemporains ses sanatoriums aujourd’hui décrépis. Pourtant, la tuberculose fait son retour en Europe. Y compris en Suisse, où l’on recense 550 nouveaux cas par année.

Très contagieuse, cette maladie touche les poumons dans 80% des cas, mais peut aussi, dans certaines formes, atteindre les os et les articulations, les viscères, les organes génitaux ainsi que les méninges, et conduit à la mort si elle n’est pas traitée. Face à cette résurgence, une impérieuse nécessité: trouver un vaccin efficace afin d’endiguer la progression de la maladie. Aujourd’hui, la communauté scientifique a les yeux tournés vers le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne, qui pourrait avoir fait une importante percée médicale dans la lutte contre la tuberculose.

La tuberculose tue 1,5 million de personnes par an

Car, si les pays industrialisés sont certes encore peu touchés, la propagation de cette affection s’apparente à une véritable pandémie à l’échelle mondiale. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 9,7 millions de personnes ont été contaminées par la tuberculose en 2015, et l’on estime qu’environ 1,5 million d’individus en meurent tous les ans, principalement en Chine, en Inde, en Indonésie, au Nigeria, en Afrique du Sud et au Pakistan.

Ces chiffres impressionnants ont d’ailleurs poussé l’OMS à lancer une stratégie mondiale contre la tuberculose, ratifiée par les gouvernements lors de l’Assemblée mondiale de la santé en 2014.

Le problème majeur est qu’au fil de leur évolution, certaines lignées de la mycobactérie responsable de la maladie sont devenues extrêmement résistantes aux différents antibiotiques, rendant le traitement de la tuberculose beaucoup plus complexe.

Quand le système de santé de l’ex-URSS s’effondre

Ces souches dites multirésistantes auraient «commencé à se propager à une époque récente de façon épidémique en Asie centrale et en Europe de l’Est, coïncidant avec l’effondrement du système de santé publique en ex-URSS», selon une étude du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) français, publiée dans la revue «Nature Genetics» en janvier dernier.

Par ailleurs, les traitements existants ont pour autre désavantage d’être extrêmement onéreux. Un critère, on l’imagine aisément, pouvant s’avérer totalement pénalisant pour les populations les plus démunies, qui sont aussi les plus touchées par la tuberculose.

Quant au seul vaccin commercialisé pour l’heure, le vaccin bilié de Calmette et Guérin (BCG), issu d’une bactérie de la tuberculose bovine et inoculé pour la première fois dans les années 1920, les scientifiques s’accordent aujourd’hui sur sa relative inefficacité quant à une éventuelle protection contre la maladie dans sa forme pulmonaire chez les adultes et les adolescents.

La recherche du Saint-Graal

La recherche de nouveaux moyens prophylactiques ou de traitements efficients accessibles à tous constitue donc le Graal des spécialistes.

Actuellement, une quinzaine de vaccins différents, dont la plupart cherchent à améliorer le BCG, sont dans le pipeline au stade des essais cliniques, notamment à Hanovre, Copenhague et Oxford. Mais l’un se démarque particulièrement. Il provient d’une recherche commune entre l’Université de Saragosse, en Espagne, et le CHUV, financée en partie par la Tuberculosis Vaccine Initiative, une fondation à but non lucratif facilitant le développement de nouveaux vaccins.

Ce projet se révèle totalement innovant dans le sens où, pour la première fois, un vaccin contre la tuberculose, nommé MTBVAC, est issu d’une souche atténuée humaine de la maladie, et non de l’animal.

«L’idée était de laisser tomber le BCG car, de par son origine bovine notamment, il ne possède pas la bibliothèque d’antigènes dont nous devrions disposer pour lutter contre la tuberculose, explique le professeur François Spertini, médecin-chef du service d’immunologie et allergie du CHUV, qui conduit cette recherche. C’est pourquoi nous avons voulu travailler directement sur le bacille de la tuberculose humaine.»

Le développement de cette souche génétiquement modifiée a demandé quinze ans de travail acharné à son concepteur, le microbiologiste espagnol Carlos Martin. «Il a d’abord fallu développer les outils d’ingénierie génétique afin de parvenir à atténuer les gènes responsables de la virulence de la bactérie, sans toutefois lui faire perdre sa compétence de fournir des antigènes protecteurs contre la tuberculose, retrace le chercheur de la Faculté de médecine de l’Université de Saragosse. Nous avons ensuite réalisé des essais précliniques sur le modèle animal de 2001 à 2012, afin de vérifier la sécurité du vaccin. Cette phase a également pu montrer un bon niveau de protection contre la maladie chez les animaux. Toutes ces étapes préliminaires ont finalement abouti à la conception du vaccin en 2013.»

Résultats encourageants

Depuis, des essais cliniques ont été réalisés au CHUV sur 36 patients avec l’aval de Swissmedic (l’institut suisse des produits thérapeutiques). «Pour le moment nous n’avons encore aucune preuve de la capacité de protection du vaccin, mais nous avons pu démontrer sa sécurité sur les humains, ce qui était l’objectif numéro un, ajoute François Spertini. Comparé au BCG, le MTBVAC exprime en outre un répertoire d’antigènes bien supérieur, pratiquement comparable à la mycobactérie de la tuberculose. Ce qui laisse augurer une réponse immunitaire plus large.»

La prochaine étape, qui vient de débuter en Afrique du Sud, consiste à tester le vaccin sur une importante cohorte de nouveau-nés, que l’on sait particulièrement vulnérables aux formes extrapulmonaires de la maladie, et plus spécifiquement la méningite tuberculeuse. Dans un premier temps, il sera question de s’assurer de la sécurité du produit sur cette population, puis d’analyser les effets protecteurs du vaccin dans cette région particulièrement exposée à la maladie. Ces données déterminantes pourraient émerger d’ici à une petite dizaine d’années.

Bien que devant encore être complétés, ces résultats préliminaires sont déjà jugés très encourageants par la revue scientifique «The Lancet Respiratory Medicine», où l’étude a été publiée à la mi-novembre. Un avis partagé par Lewis K. Schrager, vice-président des affaires scientifiques chez Aeras, une organisation américaine de biotechnologie dont l’objectif est le développement de nouveaux vaccins accessibles à tous. «En étant le seul vaccin à germes entiers dérivé d’une souche de tuberculose humaine, le MTBVAC représente un candidat important parmi les différents produits actuellement en essais cliniques.»

Philip Supply, chercheur au CNRS qui travaille notamment sur la tuberculose, reste toutefois prudent: «Plusieurs types de vaccins sont en cours de développement. Si pour certains leur pouvoir protecteur chez l’homme reste à établir, pour d’autres des évaluations récentes ont donné des résultats décevants. Dans ce contexte, il est essentiel de poursuivre le développement d’autres moyens de lutte contre la tuberculose, c’est pourquoi de nouveaux traitements antibiotiques sont actuellement testés pour mieux lutter contre les formes multi-résistantes de la maladie. Des outils diagnostiques de nouvelle génération sont aussi développés pour mieux individualiser les traitements en fonction des profils de résistance rencontrés.»

Dans la lutte contre la tuberculose, une chose semble certaine: c’est en conjuguant les forces, mais aussi les nouvelles approches prophylactiques et thérapeutiques, que les chances seront maximisées d’éradiquer définitivement cette infection à l’échelle mondiale.