Il y a 180 ans, le HMS Beagle accostait aux îles Galapagos et débarquait ses voyageurs pour une exploration de l’archipel. L’un d’entre eux, Charles Darwin, remarque alors que ces îles abritent des pinsons avec des becs de formes différentes, adaptés à leurs régimes alimentaires; les pinsons cassant des fruits secs ont des becs larges et épais alors que leurs cousins d’une île voisine, qui mangent des cactus, ont des becs fins et allongés. Bien des années plus tard, rentré dans son manoir, Darwin comprendra que ces oiseaux se sont adaptés à leur milieu par sélection naturelle. Ces fameux «pinsons de Darwin» allaient devenir le symbole de cette théorie révolutionnaire.
Dans la revue Nature du 11 février, Leif Andersson et ses collègues suédois présentent leur analyse comparée des séquences génomiques de tous ces pinsons des Galapagos. Ils concluent que, parmi les modifications génétiques associées à ces différentes formes de becs, celle affectant le gène Alx1 semble critique. En effet, une petite variation dans la séquence ADN de ce gène coïncide systématiquement avec un bec plus massif, suggérant ainsi qu’Alx1 est le responsable de ce changement de physionomie. Rien de folichon, me direz-vous?
Sauf que ce gène du bec existe aussi dans le génome des hommes qui, en principe, sont dispensés de cette excroissance indélicate. Et en plus, des mutations dans ce gène causent des malformations congénitales de la face appelées dysplasies fronto-nasales. Alx1 nous aide donc à peaufiner nos mâchoires et notre nez tout comme il sculpte le bec des volatiles. En consignant soigneusement dans son carnet de notes les variations des becs des pinsons, Darwin aurait-il pu imaginer un instant que leur cause génétique était probablement la même que celle distinguant son visage de celui de Robert FitzRoy, capitaine du Beagle?
Darwin attendit longtemps avant de publier ses idées, peut-être – disent certains – pour ne pas froisser inutilement sa femme Emma, très croyante. Il avait sans doute compris que se taire pour ne pas froisser les croyants permet de passer des soirées sereines au coin du feu. Et de rester vivant. Aujourd’hui, il aurait sans doute le triomphe modeste en voyant à quel point certains humains se distinguent peu des autres animaux. Et pas qu’au niveau du bec.
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A propos de soirées sereines, Le Monde du 25 février nous annonce que la très progressive Chambre des lords, en Angleterre, autorise la production de «bébés à trois parents» (sic). Cette formulation, reprise de concert par l’ensemble des médias (Le Temps excepté, bien sûr), a eu pour effet de scandaliser tous les gens qui n’ont pas compris de quoi il s’agissait. Entre le bunga-bunga et Dodo la saumure, l’occasion était trop belle et la réalité, à savoir une sorte de simple don de cellule, probablement trop banale. Une telle prouesse journalistique laisse loin derrière Jean-Jacques Goldman qui, avec sa chanson Elle a fait un bébé toute seule, avait pourtant porté la difficulté technique dans ce domaine à un niveau que l’on pensait inatteignable.
* Professeur de génétique à l’EPFL et à l’Université de Genève