Qui aurait pu prédire, lors de sa découverte en 1991 dans un glacier du Tyrol, que le corps gelé de celui que l’on a surnommé Ötzi, «l’homme des glaces», livrerait encore ses secrets 25 ans plus tard?

Tout, ou presque, a été passé au crible des scientifiques: ses os ont été utilisés pour reconstruire sa morphologie et même la forme de son visage, sa peau a révélé de nombreux tatouages et le contenu de son estomac a même permis aux scientifiques d’en déduire son régime alimentaire. Pas mal pour une dépouille vieille de 5300 ans!

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Mais l’homme des glaces, décédé pense-t-on des suites d’une blessure par une flèche, semble avoir encore des choses à nous apprendre. Une nouvelle étude, parue le 8 janvier dans la revue Science, vient ainsi apporter une autre pierre à l’édifice. C’est cette fois la flore intestinale d’Ötzi qui a intéressé une équipe internationale d’anthropologues et de généticiens. La présence d’une certaine souche bactérienne de Helicobacter pylori met ainsi en lumière les migrations des populations en Europe au cours de l’âge du cuivre.

Les chercheurs menés par Frank Maixner de l’Académie européenne de Bolzano (Italie) ont d’abord prélevé 12 échantillons biologiques du tube digestif de la momie. Ils ont ensuite cherché la présence de la bactérie H. pylori grâce à des méthodes de criblage génétique, qui permettent, au sein d’une véritable meule de foin moléculaire, de retrouver des séquences précises d’ADN appartenant à la bactérie recherchée.

Pourquoi cette bactérie en particulier? Il se trouve que nous avons une longue histoire commune avec H. pylori, qui a élu domicile dans l’estomac et les intestins de la moitié de la population humaine depuis au moins 100 000 ans. À mesure que les populations humaines quittaient l’Afrique pour coloniser différentes régions de la planète, H. pylori les a accompagnées tout en évoluant, si bien que l’on retrouve aujourd’hui des souches bien distinctes sur les cinq continents. Elle constitue donc un outil intéressant pour retracer les diverses migrations et rencontres entre populations humaines anciennes. «Cette bactérie est un outil connu des scientifiques qui l’ont notamment utilisé pour reconstituer le peuplement de l’Océanie», confirme Alicia Sanchez-Mazas, directrice du Laboratoire d’anthropologie, génétique et peuplements de l’Université de Genève.

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Les quelques traces d’ADN retrouvées ont dans un deuxième temps été amplifiées, puis séquencées afin de déterminer de quelle souche il s’agissait exactement. Il en existe sept principales aujourd’hui, qui descendent toutes de six souches ancestrales. La plupart des H. pylori européennes modernes, dites «hpEurope» sont issues de la rencontre de deux souches ancestrales AE1 (originaire d’Asie) et AE2 (originaire d’Afrique du nord), rencontre dont les modalités demeurent obscures.

Les scientifiques s’attendaient en toute logique à ce que notre homme des glaces possède des bactéries proches de la souche hpEurope, d’autant que celui-ci a vécu après les grandes migrations du Néolithique. Surprise: elles s’apparentent en fait à la souche asiatique moderne «hpAsia2» caractéristique de nord de l’Inde.

Infection intestinale

Cela signifierait-il que les populations européennes de l’âge du cuivre dont faisait partie Ötzi venaient d’Asie? Ce serait conclure hâtivement, estime Alicia Sanchez-Mazas: «A bien regarder les résultats, la bactérie retrouvée chez Ötzi n’est pas très éloignée non plus de la souche européenne. Elle occupe une position intermédiaire entre les deux. Ce n’est pas si surprenant, dans la mesure où ce dernier vivait en Europe centrale, au carrefour entre ces deux continents.»

Mais surtout, le fait d’avoir analysé les bactéries provenant d’un seul individu rend difficile toute extrapolation à l’échelle des populations. «C’est une étude qui reste intéressante car l’analyse d’une telle momie suscite toujours la curiosité, commente la chercheuse. Mais elle ne permet pas de remettre en question les théories sur le peuplement de l’Europe. Il faudrait la compléter avec l’analyse de momies de la même époque pour une meilleure représentativité.»

Dans une autre partie de l’étude, les chercheurs se sont intéressés au caractère pathogène d’Helicobacter pylori, qui provoque des maladies intestinales dans 10% des cas. Des indices de la présence de certaines protéines impliquées dans des processus inflammatoires suggèrent que ce lointain ancêtre devait sans doute être malade peu avant sa mort.