Quel est le secret d’un bon psy? Ce qui détermine le succès d’une démarche psychothérapeutique n’est pas le niveau de formation du praticien. Ni ses années de pratique, ni même son expérience avec d’autres patients se trouvant dans une situation similaire. Ni encore la méthode utilisée. La bonne recette se trouve à plus de 70% dans la capacité du couple patient-praticien à éprouver de l’espoir par rapport à l’issue de la thérapie, affirme Scott D. Miller, directeur du Centre international pour l’expertise thérapeutique (ICCE), à Chicago, et auteur d’un ouvrage sur le sujet*. Dans sa dernière édition, la revue Scientific American Mind évalue même à 92% le poids de ce facteur dit «extra-thérapeutique».

«Quarante années de recherches poussées n’ont pas démontré de véritable supériorité d’une méthode sur une autre, déclare Scott Miller. Les différences de modèles n’ont pratiquement aucune influence sur l’issue d’une psychothérapie.» Avant d’être défendue par cet expert, cette équivalence de résultats a été décrite dès les années 1960 par d’éminents chercheurs tels que Saul ­Rosenzweig (Université de Wa­shing­ton), Lester Luborsky (Université de Pennsylvanie) ou encore Bruce E. Wampold (Université du Wisconsin-Madison). On parle de «paradoxe de l’équivalence». Ou «d’effet dodo», en référence au roman Alice au pays des merveilles, dans lequel l’oiseau mythique décrète que tous ceux qui ont participé à une course méritent un prix.

«La validité de cette hypothèse est admise par la communauté scientifique depuis le début des années 2000», précise Jean-Nicolas Despland, directeur de l’Institut universitaire de psychothérapie du Département de psychiatrie (IUP) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Mais avant cela, il y aura eu trois décennies de vif débat, sur fond de rivalités intestines.

«Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’efficacité des psychothérapies en général a été un sujet d’étude récurrent, explique Panteleimon Giannakopoulos, chef du Département de santé mentale et de psychiatrie adulte des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Aujourd’hui la question n’est plus discutée, on sait que les psychothérapies profitent à la majorité des patients. Puis les recherches se sont dirigées vers l’efficacité intrinsèque des différentes approches.»

S’ensuivent quelques attaques en règle: la psychanalyse, par exemple, est prise pour cible par les tenants des thérapies comportementales – on se souvient du Livre noir de la psychanalyse , publié en 2005 à charge contre les théories freudiennes. La compétition est encore exacerbée par l’augmentation exponentielle du nombre de nouvelles méthodes. «Il en existe actuellement entre 400 et 600», estime Jean-Nicolas Despland. C’est devenu un marché: les séances en cabinet privé sujettes à remboursement représentent quelque 397 millions de francs par année en Suisse. Le pourcentage de personnes qui sont suivies ou ont été suivies est passé de 1 à 10% en 50 ans. Les différentes écoles ont donc tout intérêt à se mettre en avant pour «vendre leur modèle thérapeutique aux psychologues», selon l’expression de Scott Miller.

Or, malgré la prolifération de l’offre, l’efficacité des psychothérapies en général ne se serait pas améliorée d’un point en 30 ans. Des recherches indiquent même que les séances en vis-à-vis ne fonctionnent pas mieux qu’une auto-prise en charge planifiée grâce à un site internet d’entraide. Attention, prévient Scott Miller: cela ne veut pas dire que l’aide professionnelle est inutile. Mais que les patients sont capables de saisir n’importe quelle perche qui leur est tendue, de «faire feu de tout bois». L’ouvrage clé de Scott Miller, rédigé en collaboration avec trois autres psychologues du Centre de thérapie brève de l’Etat du Milwaukee, s’intitule d’ailleurs Le client, héros de la thérapie.

La vision de la relation d’aide développée par les auteurs est parfois qualifiée de révolutionnaire, car elle implique, pour les thérapeutes, de se destituer de leur rôle d’expert et de renoncer à toute expression de leur savoir médical, de façon à interférer le moins possible avec les capacités naturelles du patient à trouver des solutions par lui-même. C’est lorsqu’ils sont persuadés que ce dernier est capable de rebondir que les praticiens deviennent les plus efficaces – et cette conviction ne peut pas être le fruit d’un enseignement académique.

Voilà pourquoi Scott Miller parle de «méthode de non-méthode» pour qualifier son approche. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de stratégie, juste une certitude: le patient est plein de ressources. Cette posture est enseignée depuis quelques années en Suisse. Notamment au Centre d’études et de formation continue (Cefoc) à Genève et au Centre de recherches familiales et systémiques (Cerfasy) à Neuchâtel. Les demandes d’inscription vont croissant et l’intérêt dépasse le cadre strict de la relation d’aide, pour s’étendre au domaine de l’éducation spécialisée, du travail social et de la gestion des ressources humaines.

«Le discours de Scott Miller et de ses collègues repose à mon avis sur le bon sens, ce qui fait que je ne le qualifierais pas vraiment de révolutionnaire, dit de son côté Pierre Vallon, président de la Société suisse de psychiatrie et de psychothérapie. On constate assez vite dans la pratique que le succès d’une démarche dépend surtout de la qualité de l’investissement personnel des deux parties. Et tout le monde a entendu parler des effets de l’«empowerment». Ce qui est nouveau, c’est que tout cela se formalise, on cherche maintenant à potentialiser les facteurs de réussite. C’est d’ailleurs ce qui m’inquiète en peu. Il existe à présent des cours d’empathie pour les jeunes médecins, où on leur apprend à poser quelques questions ciblées. Le risque est de retomber dans le piège du savoir-faire technique.»

Scott Miller cite une anecdote prouvant le caractère non planifiable de cet ingrédient essentiel qu’est l’espoir. Celle d’un couple en proie à des problèmes conjugaux, dont la première consultation tourne à la scène de ménage. Désemparé, le thérapeute clôt la séance en s’excusant de n’avoir pas été très utile et avoue espérer que la seconde sera plus fructueuse. Vu les circonstances, il est très étonné de voir le couple s’y présenter, et plus encore de constater que les choses se sont améliorées entre-temps, au point que le divorce n’est plus à l’ordre du jour. Il demande ce qui s’est passé. «Vous êtes conseiller conjugal, lui répond l’homme. Pourquoi auriez-vous proposé de nous revoir si vous n’aviez pas quelque espoir de sauver notre mariage?»

«Les gens ne consultent pas parce qu’ils ont des problèmes, mais parce qu’ils sont découragés quant à leurs chances de pouvoir les résoudre», conclut Scott Miller. Et de reconnaître que ce constat a quelque chose d’un peu décevant: on aurait tellement voulu croire en l’efficacité d’une méthode particulière et en l’expertise professionnelle des praticiens! «Ce qui nuit à la vérité, c’est qu’elle est souvent inconfortable et généralement ennuyeuse.»

* «What works in therapy» (Ce qui marche en thérapie).

«Les gens ne consultent pas parce qu’ils ont des problèmes mais parce qu’ils sont découragés»