Vingt-cinq ans après la première observation de bouffées de rayonnement gamma d’origine terrestre, vite associées aux orages, le doute n’est plus permis: la foudre engendre des réactions nucléaires, à l’image de nos accélérateurs de particules ou des étoiles.

Un groupe japonais, piloté par Teruaki Enoto (Université de Kyoto) décrit sa découverte ce jeudi dans Nature. «Nous avons installé des détecteurs sur un site de la côte orientale japonaise en 2006, raconte le chercheur. Dans cette région, les orages sont fréquents et leurs nuages sont plutôt bas, ce qui augmente nos chances de voir ce qui s’y passe.» Le 6 février dernier, les instruments ont délivré un net signal pendant près d’une minute, bien plus long que les flashs gamma des nuages, qui ne durent que quelques fractions de milliseconde.

Les flashs d’origine terrestre

Le rayon gamma représente la forme la plus énergétique du spectre lumineux. Il est associé aux réactions nucléaires dans les étoiles, mais aussi les réacteurs à uranium et les accélérateurs de particules. Il y a vingt-cinq ans, un télescope spatial américain fraîchement mis en orbite pour observer les rayons gamma cosmiques, a commencé à voir, de manière fortuite, de brefs flashs d’origine terrestre, les TGF. Un rayonnement invisible, à ne pas confondre avec les mystérieux sprites, bien visibles ceux-là au sommet de certains orages, que l’on cherche aussi à expliquer.

«Les nombreuses observations ont permis de comprendre que les TGF se forment au cœur même des orages», raconte Sébastien Célestin, du Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace de l’Université d’Orléans, impliqué dans l’un des instruments du satellite français Taranis – du nom du dieu celte de l’orage –, qui doit être lancé en 2019 pour détecter les particules et rayonnements des orages. «Alors qu’on croyait au départ ces flashs très rares, il s’en produirait au moins mille par jour dans l’atmosphère terrestre.» 

Production d’antimatière

Quand la foudre survient, elle forge, sur son trajet, un plasma. Une soupe de particules chargées, faite de noyaux d’atomes et d’électrons. Ces particules émettent toutes sortes de rayonnement, à commencer par les lumières féeriques que l’on voit de nos fenêtres. «L’énergie des électrons de ce plasma est au départ d’environ 1 électronvolt (l’unité de mesure utilisée pour les particules)» ajoute Sébastien Célestin. «Mais les TGF, le rayonnement gamma qu’ils émettent ensuite quand ils rencontrent de la matière, peuvent atteindre des dizaines de millions d’eV. Les électrons ont donc subi une accélération phénoménale que l’on cherche à comprendre.» Autrement dit, les orages sont de véritables accélérateurs de particules, des synchrotrons.

En 2011, les physiciens ont fait une autre observation surprenante: les orages produisent de l’antimatière. Il s’agit plus précisément du positron, l’antiparticule de l’électron, qui possède la même masse que celui-ci, ainsi que la même charge électrique mais de signe inverse. La rencontre des deux les annihile en émettant une lumière dont l’énergie – 511 keV – correspond très exactement à la masse de la paire de particules, en vertu de la fameuse relation E = mc2 d’Einstein.

Autrement dit, les TGF produisent dans un premier temps des électrons et des positrons – par transformation du rayonnement gamma suivant la réaction inverse de l’annihilation – qui, ensuite, sont annihilés en émettant le rayonnement gamma trahissant leur présence passée.

Réactions nucléaires induites

Si cette lumière à 511 keV est bien observée, elle n’est pas seule, un signe que d’autres mécanismes sont à l’œuvre. Les physiciens ont acquis au fil des ans la conviction qu’il s’agissait de réactions nucléaires induites qui, seules, pourraient expliquer la longue durée de certains signaux ainsi que la présence de neutrons libres dans les orages. Restait à le démontrer, ce qu’a fait le groupe japonais.

«Ce travail est rigoureux et les mesures sont en accord avec les simulations. Ce résultat fera du bruit!» se réjouit Sébastien Célestin. Selon Teruaki Enoto, «il s’agit au départ d’une réaction photo-nucléaire, l’absorption du rayonnement gamma par les noyaux d’azote présents dans l’air». Une réaction qui produit, notamment, des positrons et des neutrons. Ces derniers engendrent une série de réactions en chaîne qui expliquent la longue durée des observations japonaises, et qui créent notamment du carbone 14.

«Il faudra expliquer l’accélération des électrons qui est la source des TGF. Cela nous dira peut-être pourquoi tous les orages ne créent pas de tels flashs», souligne Sébastien Célestin. De son côté, Teruaki Enoto espère «déterminer la part du carbone 14 atmosphérique liée aux orages. D’après nos premiers calculs, elle serait marginale.»