Quelle est la différence entre un homme et une femme? La question est beaucoup plus compliquée qu’elle n’en a l’air. Comme l’illustrent les premières fuites, ces derniers jours dans la presse australienne, sur le cas de la coureuse sud-africaine Caster Semenya, qui présenterait des caractères sexuels ambigus. «On a tendance à croire que la réponse est noire ou blanche, mais il y a toute une zone grise: un individu peut être un mélange des deux sexes», commente Serge Nef, du pôle de recherche Frontiers in Genetics, basé à Genève. Il existe en effet une trentaine de troubles du développement sexuel qui touchent environ une personne sur trois mille et peuvent entraîner à peu près toute la gamme de nuances entre l’homme et la femme.
Dans le domaine sportif, on range toutefois les concurrents dans deux catégories beaucoup plus définies que la réalité. Et, lorsque des interrogations surviennent, on procède à une «vérification du genre». Pour autant qu’il existe UN genre.
Dans la Grèce antique, on raconte que des femmes se travestissaient en homme pour pouvoir participer aux compétitions qui leur étaient interdites. Comme l’explique Boris Gojanovic, médecin du sport au CHUV, il n’y a aujourd’hui aucune discipline dans laquelle il pourrait être avantageux pour une femme de se faire passer pour un homme. En effet, les hormones mâles, la testostérone en particulier, permettent un développement du squelette et de la masse musculaire supérieur, ainsi qu’une oxygénation plus efficace, pour une quantité moindre de tissus graisseux.
Lorsqu’on parle de vérification du genre, cela concerne donc uniquement les vestiaires féminins. Le premier mécanisme de contrôle, introduit dans les années 1960, consistait en un examen physique sommaire. Il a été rapidement remplacé par un test génétique réalisé à partir d’échantillons de salive. Cette méthode a toutefois été abandonnée dans les années 1990 à cause de son imprécision. Depuis, les contrôles ne sont plus systématiques.
Il faut dire que le sexe génétique n’est pas forcément conforme à l’apparence ou aux organes génitaux d’un individu. «Jusqu’à la sixième semaine de développement, les embryons mâle et femelle sont identiques, observe Serge Nef. La seule différence est que la petite fille a deux chromosomes X, et le petit garçon un chromosome X et un chromosome Y.» Tous deux ont un organe reproducteur primitif appelé gonade. Vers la sixième semaine, un gène appelé SRY et situé sur le chromosome Y va commencer à s’exprimer chez l’embryon mâle et induire la différenciation de cette gonade en testicules. Ces derniers se mettront à produire des hormones mâles qui vont viriliser l’embryon. En l’absence de ce gène, la gonade se transformera en ovaire, puis suivra la féminisation de l’embryon.
Mais il arrive que le gène SRY ait «sauté» sur un autre chromosome et qu’un embryon XX le possède. L’expression du gène peut aller jusqu’à masculiniser complètement ses organes génitaux et son apparence. L’inverse peut aussi se produire, si le gène SRY a subi une mutation et ne fonctionne pas. Il arrive qu’une personne qui porte les chromosomes XY soit totalement féminine. Ces hommes et ces femmes ne se rendent souvent compte du fait que le sexe de leur corps n’est pas le même que leur sexe génétique que lorsqu’ils veulent faire des enfants. En effet, les ovaires ont besoin des deux chromosomes X pour fonctionner, et la spermatogenèse requiert des gènes qui sont présents sur le chromosome Y.
Mais le processus peut aussi être partiel. Des problèmes dans le développement de la gonade induisent occasionnellement à la fois du tissu testiculaire et ovarien. «Il s’ensuit une sorte de lutte entre les sexes au sein d’un même individu, relève Serge Nef. Il y aura production aussi bien d’hormones femelles que d’hormones mâles.» Certaines pathologies entraînant, par exemple, une insensibilité aux hormones ou encore une surproduction d’hormones provoquent également une ambiguïté des caractères sexuels: micropénis, grand clitoris, fusion des lèvres, vagin «borgne», qui ne donne sur aucun utérus. Les testicules peuvent aussi être restés dans le corps. Généralement, on les enlève parce qu’ils présentent un risque de cancer dix fois plus élevé.
Selon les fuites sur le cas de Semenya, la coureuse serait dépourvue d’ovaires et d’utérus et aurait des testicules intra-abdominaux. Ainsi qu’un taux de testostérone trois fois plus élevé que la norme.
Où les organisations sportives fixent-elles donc la limite? Les directives élaborées par l’Association internationale des fédérations athlétiques (IAAF) prévoient en cas de suspicion un examen conduit par un panel d’experts, comprenant un gynécologue, un endocrinologue, un psychologue, un spécialiste de médecine interne ainsi que des questions d’intersexualité. Certaines personnes présentant des caractères sexuels ambigus peuvent continuer à concourir dans la catégorie féminine. Des hommes opérés pour devenir des femmes aussi, pour autant qu’ils aient suivi une thérapie hormonale d’au moins deux ans. Le facteur déterminant est que l’athlète ne doit pas être avantagé par les effets de la testostérone, souligne l’IAAF. Pour Caster Semenya, les résultats officiels seront annoncés le 20 ou le 21 novembre.
Bien que cette affaire ne soit pas la première, elle se révèle particulièrement délicate notamment en raison de la réaction très vive des autorités sud-africaines, qui ont taxé l’organisation sportive de racisme et de sexisme. Les spécialistes appellent de leurs vœux une réglementation «universelle», afin d’éviter ce genre de conflits. Selon Gabriel Dollé, directeur médical de l’IAAF, elle devrait voir le jour dans un avenir proche.